Présentation du fonds Fernand Verhesen (par Martin Groenendaels)

5 avril 2023

Parler de Fernand Verhesen aujourd’hui, c’est parler d’une figure largement méconnue. Cet homme, pourtant, fut poète, traducteur entre autres de Huidobro et de Vallejo, introducteur de la poésie latino-américaine à un public francophone, fondateur et animateur d’une revue, d’un centre de recherche scientifique sur la poésie, professeur et, bien sûr, éditeur de poésie. Respecté par ses pairs, académicien, critique, on peut donc se douter que son fonds d’archives laisse entrevoir quelques bribes d’un travail d’importance, et d’un travail avant tout poétique. Et tel est bien le cas, même si tout s’y mélange pêle-mêle. Afin de vous présenter ce fonds, je voudrais vous présenter les différents « rôles » qu’a joués Verhesen, vous montrer que sa tête a endossé bien des casquettes, le tout dans une perspective diachronique, qui nous permettra de brosser un portrait plus large des diverses institutions auxquelles il a pris part.

Fernand Verhesen (1913-2009)
Fernand Verhesen (1913-2009)

Fernand Verhesen est né à Bruxelles en 1913, et malgré ses voyages de par le monde, cette ville restera son port d’attache. C’est dans la capitale belge qu’il fait ses études de philologie romane (à l’Université Libre de Bruxelles), avant d’obtenir un diplôme d’études françaises supérieures à l’université de Besançon, et de travailler entre 1934 et 1935 à Madrid. Il retourne ensuite en Belgique, où il enseignera à l’Université Libre de Bruxelles, de 1938 à 1948. Ajoutons qu’il enseignera également à la Columbia University de New York de 1964 à 1965. S’il est déjà actif dans les milieux littéraires avant la Seconde Guerre mondiale, surtout au sein du fameux Journal des Poètes, et des Cahiers Nouveaux de France et de Belgique qu’il crée en 1939, c’est après la guerre qu’il fonde sa propre maison d’édition : Le Cormier (1949).  Il pose ensuite les bases de ce qui servira de pendant scientifique à son œuvre poétique et à la revue littéraire qu’est le Journal des Poètes : le Centre International d’Etudes Poétiques et sa revue, le Courrier, ainsi que sa Bibliothèque Internationale de Poésie (respectivement 1954, 1955 et 1956). Outre ces trois instances, il participe et aide à organiser les Biennales Internationale de Poésie, moment de rencontre entre femmes et hommes de lettres du monde entier initiées par Arthur Haulot, qui se tiennent à Knokke tous les deux ans. Verhesen occupe aussi, dans les années 1970, un siège à l’Académie Royale de Belgique et, dans les années 1980, un siège à la Commission pour la Promotion des lettres françaises de Belgique (organe gouvernemental chargé de subventionner les auteurs et les autrices).[1]


[1]     Pour lire une courte biographie de Verhesen, on peut se référer au site de l’Académie Royale de langue et littérature française de Belgique : https://www.arllfb.be/composition/membres/verhesen.html.

Fonds Fernand Verhesen, AML.
Le « fonds Fernand Verhesen » est rangé sur cette étagère d’archives, il contient 32 boites.

Arrêtons-nous maintenant quelque peu sur la dimension éditoriale[1], et parlons du Cormier. Dirigée par Verhesen de sa fondation en 1949 jusqu’à son changement de direction en 1988, cette maison n’édite que de la poésie. Elle débute grâce à une véritable passion pour la typographie et le « beau livre » chez Fernand Verhesen, mais grâce aussi à la collaboration avec son ami peintre, dessinateur et graveur, René Mels. Ensemble ils se rendent à Paris pour y acquérir des caractères « Garamond » et du papier vélin – et les faire passer sous le nez de la douane à leur retour en Belgique –, ainsi qu’à installer dans son appartement une vieille presse (de quelques 400 kg). Cette maison d’édition a acquis, au fil des années, une réputation de sélectivité et de qualité typographique, soutenue par un travail de l’illustration, entre autres matérialisées dans des tirages « de luxe »[2]. Elle a ainsi pu publier René Char, Claire Lejeune, Philippe Jones, Pierre della Faille, Maurice Blanchard, mais aussi Alejandra Pizarnik ou Roberto Juarroz, sans oublier Verhesen lui-même[3]. Cette maison, on en trouve les traces dans le fonds d’archive Fernand Verhesen que conservent les AML. En premier lieu, plus de cent manuscrits, émanant de poétesses et poètes aguerris, comme de nouvelles et nouveaux arrivant.e.s. Verhesen, dans sa bibliothèque, a eu la bonne idée de garder les lettres qui accompagnaient ces manuscrits, correspondance pour nous riche de renseignements.


[1]     Pour une histoire de l’édition en Belgique qui replace le Cormier dans un cadre plus large, voir le Chap. 5 (« Industriels et artistes ») dans l’ouvrage de Pascal Durand et Tanguy Habrand, Histoire de l’édition en Belgique : XVè-XXIè siècles, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2018.

[2]     Sur la genèse du Cormier, Fernand Verhesen a laissé quelques pages (« “Le Cormier” n’a évidemment pas poussé par hasard dans une sorte de désert… »), consultables aux AML sous la cote ML 11129.

[3]     Le catalogue complet de la maison se trouve via ce lien : https://lecormier.net/catalogue-general/.

Fonds Fernand Verhesen, AML.
Plusieurs manuscrits du Cormier
Fonds Fernand Verhesen, AML.
Une enveloppe contenant des errata, des vers de Verhesen et une feuille des comptes trimestriels du Cormier

Un des cas les plus significatif est certainement Plongée au gré des deuils d’Henri Corbin, poète martiniquais. Les archives recèlent la correspondance entre Verhesen et Corbin, qui retrace toute la genèse du projet. C’est Corbin qui contacte Verhesen en 1978, ayant l’idée d’éditer son recueil – pour lequel il a obtenu une préface d’Edouard Glissant – à compte d’auteur. En fait, le Cormier, en raison du « marché »[1] très réduit de la poésie, mais surtout parce qu’il s’agit là d’un projet bénévole pour Verhesen, doit très souvent s’en remettre à l’édition à compte d’auteur, lorsqu’il n’a pas été possible d’obtenir quelque subvention. La correspondance avec Henri Corbin se montre précieuse quant à la discussion sur la typographie, la diffusion de l’œuvre, le tirage d’ouvrages de luxe et bien d’autres aspects de nature éditoriale.


[1]     C’est Verhesen lui-même qui entourait ce mot de guillemets, en 1980, dans une lettre à une étudiante en littérature où il lui répondait ne pouvoir lui donner les statistiques du marché de la poésie qu’elle recherchait pour son cours.

Fonds Fernand Verhesen, AML.
La farde « Henri Corbin »

Toute la correspondance concernant la maison n’est par ailleurs pas attachée à un manuscrit, et nombreuses sont les lettres où de jeunes personnes viennent chercher auprès de Verhesen non tant un éditeur – ils n’oseraient demander, ou bien connaissent le recours au compte d’auteur – mais avant tout un conseiller et un lecteur. Verhesen, dans cette correspondance, apparaît régulièrement comme un nœud du réseau de la poésie belge et internationale, comme une porte d’entrée donc. Nombreuses aussi sont les lettres émanant de librairies ou d’autres maisons d’éditions avec lesquelles Verhesen collabore. Il est remarquable de voir que le ton d’une partie conséquente de la correspondance est tout à fait poétique, à tel point qu’il arrive que la correspondance s’alourdisse de quelques vers ou de réflexions sur le dernier recueil de Verhesen, généreusement et systématiquement envoyé à bien grand monde…

Fonds Fernand Verhesen, AML.
Épreuves corrigées pour Au gré des deuils

Pour autant, il y a une chose qui caractérise notoirement le fonds Fernand Verhesen : le Cormier, ce n’est pas tout Verhesen. Car en quantité, la partie du fonds qui concerne le Cormier ne représente au plus que le tiers de ces archives. La majeure partie est en fait composée de correspondance et de documents relatifs au Centre International d’Etudes Poétiques (CIEP) et à son Courrier. Pour être exact, les archives ne dévoilent pas grand-chose de l’entreprise de passeur et d’animateur de la vie poétique de son pays et à l’international de Verhesen si l’on en reste à son penchant éditorial. Il s’agit plutôt d’une constellation de rôles joués à divers endroits, dans plusieurs institutions[1], et surtout d’un entremêlement de ces rôles. Parmi les auteurs publiés au Cormier, on en trouve qui participaient régulièrement au Courrier, ce même Courrier dont un numéro fut consacré à la poétesse belge Claire Lejeune, elle-même publiée au Cormier. Ces vases communiquent et, si nous souhaitons quelque peu déchiffrer ce que c’est que d’être un Fernand Verhesen, c’est-à-dire si nous voulons comprendre la possibilité d’un tel mode d’existence alliant à la fois édition et écriture, dimension scientifique et dimension poétique, portée internationale et animation de la vie culturelle belge, nous devons, comme lui, jouer sur tous les tableaux. Creuser le fonctionnement de ces institutions oeuvrant de concert, et reconstituer les réseaux qui les composaient.

Le fonds Fernand Verhesen apparaît très propice à cette entreprise, et plusieurs entrées de blogue verront ici le jour pour éclairer cette entreprise, la recherche en cours culminera dans un mémoire portant sur le même sujet, qui sera présenté l’année académique prochaine.


[1]     Ce mot, je l’emploie ici avec un sens large : le CIEP est une institution, au même titre que le Cormier, le Journal des Poètes (et sa Maison Internationale de la Poésie) ou les Biennales.

Archives audiovisuelles de la littérature (par Selina Follonier)

28 novembre 2019

L’audiovisuel est devenu constitutif du patrimoine littéraire. Si, parmi les traces archivistiques relatives à la littérature, les documents sonores et filmiques occupent une place marginale, et si l’association entre littérature et audiovisuel ne se départit pas aisément du statut d’oxymore que lui attribue un demi-siècle de discours sur le supposé antagonisme entre les deux formes d’expression, ces sources représentent néanmoins, à l’heure où la circulation de la parole des auteurs ne se restreint plus au support écrit, une part considérable et grandissante de la mémoire de la vie et de la production littéraires. Leur faible légitimité épistémologique et leur position excentrée par rapport aux circuits traditionnels de la transmission du savoir ont posé un obstacle majeur à leur reconnaissance, mais en conséquence de l’évolution du paysage médiatique depuis le début du XXe siècle, l’audiovisuel gagne une importance de premier ordre en tant que support de conservation au sein d’une nouvelle économie mémorielle et d’une nouvelle géographie du savoir. Unequarantaine d’années après la création de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) en France, qui constitue le premier centre d’archives audiovisuelles[1] au monde, les gisements de sons et d’images animées s’agencent en une constellation qui, pour se situer hors du terrain habituellement arpenté par les chercheurs en lettres, forme un continent vaste bien qu’encore peu exploré.

Les documents audiovisuels ayant trait à la littérature recèlent une mine d’informations d’ordre historique, sociologique, biographique et paratextuel. Toutefois, ces objets issus des provinces médiatiques de la République des lettres et leur articulation à la sphère littéraire soulèvent différents problèmes théoriques et méthodologiques, concernent autant l’hétérogénéité matérielle et sémiotique des sources, la non-contiguïté institutionnelle et l’éclatement des lieux de conservation.

Institutions, projets, collections : esquisse d’une cartographie

Le territoire des archives audiovisuelles du littéraire se déploie autour d’institutions, de projets et de lieux de production de différentes natures. Dans l’espace francophone européen et nord-américain, il se partage essentiellement entre, d’une part, les entreprises de radio-télévision nationales ou régionales (les chaînes de la télévision française, la Radio-Télévision belge de la Communauté française (RTBF), Radio-Canada, la Radio-Télévision suisse (RTS) francophone) et les structures en charge de la gestion et de la numérisation de leurs fonds (l’INA en France, la Sonuma en Belgique) ; d’autre part les archives littéraires proprement dites (Archives et Musée de la littérature (AML), Archives littéraires suisses (ALS), l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC)…) qui, malgré l’évidente secondarité de leurs collections sonores et filmiques par rapport aux collections écrites, conservent, pour ce qui est des établissements précités, un nombre de documents audiovisuels qui se chiffre en milliers[2]. Il s’y ajoute, en second lieu, des institutions bibliothécaires (telles que la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui possède son propre Département de l’Audiovisuel[3]), des archives cinématographiques (le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)[4], la Cinémathèque royale de Belgique, la Cinémathèque québécoise, la Cinémathèque suisse), des phonothèques (Phonothèque québécoise, Phonothèque nationale suisse…) ou encore différents musées, fondations ou autres organismes consacrés à la conservation et à la valorisation du patrimoine audiovisuel (telle par exemple l’association Memoriav). Enfin, cas exceptionnel : le Centre d’archives Gaston-Miron (CAGM). Fondé en 2008 et rattaché à l’Université de Montréal, il constitue la première et jusqu’à présent la seule institution exclusivement consacrée à la valorisation et à l’étude de documents audiovisuels liés à la vie littéraire.

Au sein de ce paysage, les sources se distribuent selon des échelles variées ; elles circulent et s’agencent à la faveur de projets et de partenariats ainsi qu’au gré des évolutions technologiques et des législations changeantes sur l’audiovisuel. Plusieurs initiatives se sont employées à établir une passerelle entre archives littéraires et archives audiovisuelles, comme dans le cadre de partenariats noués entre l’IMEC et l’INA ou entre les AML et la Sonuma. Ceux-ci visaient principalement à étendre l’accès aux fonds audiovisuels par le biais de transferts de documents et par l’installation de postes de consultation dans les archives littéraires, à accélérer les processus de numérisation des sources ainsi qu’à instaurer un échange de compétences dans l’objectif d’optimiser la gestion de ce patrimoine spécifique. Un autre projet, intitulé IMVOCS (Images et voix de la culture suisse)[5] (2002-2015) et mené en collaboration entre les Archives littéraires suisses, les Archives Max Frisch, Memoriav, la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SRG SSR) et la Phonothèque nationale suisse, entendait œuvrer à la sauvegarde et la valorisation d’enregistrements concernant des écrivains dont les archives sont déposées aux ALS. Reposant sur une volonté d’établir un pont entre archives écrites et archives audiovisuelles, il constitue sans doute l’une des tentatives les plus systématiques de mise en relation entre ces deux sphères, s’appuyant en outre sur le concours d’experts universitaires et des archivistes responsables des fonds d’auteurs. Enfin, quant au cadre plus spécifiquement académique, citons des projets tels que celui dédié au « Patrimoine sonore de la poésie », piloté par l’Observatoire de la vie littéraire (OBVIL) de la Sorbonne, ou le programme SpokenWeb, basé à l’Université Concordia.

La typologie des sources audiovisuelles se décline en fonction des supports, des formats et des contextes de production. Les fonds « littéraires » se composent pour l’essentiel d’entretiens, d’émissions radiophoniques et télévisées, de reportages ou de documentaires, de créations telles que des poèmes ou des carnets radiophoniques, de captations de lectures publiques, de conférences ou de pièces de théâtre, ou encore d’adaptations filmiques d’œuvres littéraires. Ils sont alimentés selon différentes logiques (dons privés, archivage professionnel, dépôt légal[6]…) et relèvent de diverses provenances : les œuvres issues du secteur de la radio-télévision, les enregistrements personnels figurant dans l’héritage des auteurs, la production audiovisuelle propre aux institutions de conservation. Pour ce qui est de cette dernière catégorie, l’INA réalise des entretiens patrimoniaux parmi lesquels figure la collection « Mémoires du théâtre » ; l’IMEC diffuse une série de capsules vidéo d’interviews d’auteurs sous le titre « Comment écrivez-vous ? » et effectue des enregistrements intégraux de conférences ou de colloques qui se tiennent dans ses locaux ; les AML produisent des documentaires et procèdent à des captations filmiques de mises en scène de pièces théâtrales et d’autres manifestations publiques, dans le but de « documenter les moments significatifs de la vie littéraire[7] ».

Les différents types d’institutions et de contextes définissent différents modes de récolte, de gestion et de valorisation des sources. Aussi bien la production et la diffusion que la conservation, le classement et la numérisation sont soumis à des modalités, des rythmes temporels et des finalités variables en fonction du statut des organismes et de leur mission institutionnelle (patrimoniale, commerciale, scientifique…). Alors que pour des entreprises de radio-télévision, la politique d’archivage reste liée aux enjeux de la production, soit à la perspective d’une réutilisation des documents dans le cadre de nouvelles émissions ou de rediffusions d’émissions d’archives, et que celle des organisations comme l’INA et la Sonuma conjugue une visée de conservation à des considérations sur la valeur commerciale des sources, celle des établissements exclusivement patrimoniaux reste centrée sur l’archivage pérenne, tandis que les structures rattachées à des universités associent à cet objectif celui de la mise à disposition des fonds pour la recherche[8].

Prismes et médiations

L’accès à cet univers d’images animées et des sons n’est envisageable qu’à travers des interfaces qui forment autant de prismes entre la connaissance et les objets de connaissance. Compte tenu de leur spécificité matérielle et sémiotique, les contenus des documents audiovisuels nécessitent des dispositifs de lecture spécifiques et doivent être appréhendés à l’aune de leur statut doublement médiatisé : premièrement à travers le support d’inscription, deuxièmement à travers les catalogues, moteurs de recherche ou logiciels mobilisés pour les consulter.

Depuis l’invention des procédés de captation sonore et filmique, une grande diversité de supports de sauvegarde ont vu le jour (disques 78 tours, bandes magnétiques, disques microsillon, cassettes audio et vidéo, microcassettes, disquettes, CDs…). Au regard de leur fragilité matérielle et de la rapide obsolescence des appareils de lecture, leur contenu est aujourd’hui progressivement transféré vers le support numérique et, le plus souvent, rendu disponible à la consultation sur des postes de lecture dans les archives et bibliothèques. Cette situation présente de nombreux avantages : le fait de réunir les différents types de données sur un seul support permet non seulement d’en assurer une meilleure accessibilité et d’en optimiser la gestion, mais également de faciliter la mise en parallèle et la comparaison d’informations provenant de formats hétérogènes.

Toutefois, l’ambition universalisante des techniques de reproduction numériques contraste avec le caractère souvent très fragmentaire de la vision qu’elles offrent. Déjà en amont du processus de catalogage et de numérisation, de nombreux facteurs sont susceptibles d’influencer l’état des collections : lacunes lors de l’enregistrement, endommagement lors du stockage ou de manipulations, perte, détérioration, destruction en raison d’une absence de moyens financiers pour en assurer la conservation ou par négligence due à un manque de conscience de la valeur historique des sources. Quant aux collections digitales, les bases de données et instruments numériques dont on dispose sont loin d’être complets ni infaillibles. Malgré les investissements et les avancées considérables accomplies à ce jour, les catalogues ne sauraient, à l’évidence, prétendre à l’exhaustivité. Les restrictions de temps, de budget et de main d’œuvre contraignent chaque institution à définir des critères de sélection relatifs aux documents candidats à la numérisation, des critères qui – en l’absence d’une collecte automatique dans le cadre d’un dépôt légal – découlent le plus souvent d’un compromis entre une démarche systématique visant un objectif d’intégralité à long terme et la réponse tant à des besoins internes qu’à des demandes externes (recherche, édition…). Enfin, l’absence de coordination entre des projets de numérisation menés par différentes institutions rend difficile l’obtention d’une vision globale et conduit à la dispersion des corpus entre différentes plateformes – un phénomène qui est particulièrement accentué dans des états fédéraux et plurilingues comme la Belgique, le Canada ou la Suisse.

La visibilité des sources dans l’espace public est également régulée par des enjeux juridiques[9] : aussi bien leur production que leur diffusion, leur réédition et leur consultation sont soumis à la législation relative au droit d’auteur. Ces dispositions s’avèrent, en matière d’œuvres audiovisuelles, d’une grande complexité en raison du nombre souvent considérable d’acteurs et d’instances impliqués dans leur production (réalisateurs, scénaristes, figurants… ; producteurs, chaînes de radio-télévision…). Ainsi, les collections d’un établissement comme l’INA possèdent des statuts juridiques très hétérogènes : pour ce qui est des programmes collectés dans le cadre du dépôt légal, l’Institut est tantôt détenteur de l’ensemble des droits et obligations (dans le cas d’un transfert de propriété et d’une cession des droits au profit de l’organisme d’archivage), tantôt simple dépositaire jouissant d’un droit exclusif d’exploitation[10]. En fonction de ces paramètres, les sources apparaissent ou non dans des bases de données – accessibles à tout public, aux seuls professionnels ou chercheurs, voire réservées aux collaborateurs des entreprises.

Se pose enfin la question de l’indexation et des moteurs de recherche qui assurent la lisibilité et la navigabilité au sein de l’océan des données accumulées au fil des décennies. Afin d’empêcher que ce flux informationnel ne se transforme en un « fleuve d’amnésie[11] », il est en effet crucial de disposer de métadonnées fiables qui nomment, décrivent, datent et situent les objets avec précision. La structure plurimodale des documents audiovisuels, basée sur des éléments sémiotiques relevant aussi bien de l’image, du son, de la parole et de la musique, rend cette opération particulièrement délicate. Alors que le texte, comme l’observe Bruno Bachimont, est lui-même sa propre indexation[12], les contenus audiovisuels doivent être « traduits » afin de pouvoir être repérés dans les bases de données. Cette opération est forcément réductrice et comporte un risque d’inexactitudes[13] – que les données soient saisies par la main humaine ou par des machines. Au même titre que le fonctionnement des moteurs de recherche, ces annotations et leur interprétation sont déterminées par la subjectivité du documentaliste, celle de l’utilisateur et celle des algorithmes. Dans cette situation, il est indispensable de s’interroger sur la représentativité des résultats obtenus par chaque requête[14].

On mesure les défis que représente le travail avec ces sources qui concentrent sur elles le paradoxe d’une grande richesse informationnelle et de conditionnements pour ainsi dire invisibles qui empêchent l’apparente restitution complète d’un « réel » qu’elles semblent offrir. Si la constante extension des collections numériques, l’optimisation des algorithmes de recherche, la normalisation de standards au niveau international et l’interopérabilité croissante des systèmes ouvrent des perspectives prometteuses, leur étude requiert une prudence méthodologique particulière et entraîne la nécessité de développer des outils théoriques pour les aborder. Au-delà de la réalité « brute » qu’elle enregistre, une capture sonore ou audiovisuelle est toujours traversée de signifiants historiques et socioculturels, tributaire de scénographies codifiées et façonnée par des contraintes liées aux supports techniques, par des intentionnalités découlant des logiques institutionnelles, voire par des stratégies commerciales. Le recours à de telles sources appelle par conséquent une attention soutenue aux contextes de production et aux dispositifs énonciatifs ainsi que la prise en compte de l’articulation complexe de facteurs historiques, culturels, techniques, économiques et esthétiques qui président à leur conception. Leur caractère hybride demande de la part des chercheurs non seulement l’adoption d’une démarche critique interdisciplinaire (études littéraires, histoire culturelle, sciences de l’information et de la communication…), mais aussi, dans l’idéal, l’aptitude de doubler leur savoir en matière de littérature d’une solide connaissance de l’histoire des médias, des techniques d’enregistrement et de diffusion, des législations concernant le patrimoine audiovisuel, des processus d’archivage, de la constitution et des principes de classement des fonds, voire du comportement des algorithmes des moteurs de recherche.

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Les considérations relatives au patrimoine audiovisuel de la littérature conduisent finalement à s’interroger sur le concept même d’archive littéraire. Une archive littéraire se définit-elle par la nature matérielle des documents qui la composent, par le type de contenus que ces derniers recèlent, par l’identité socio-professionnelle de leurs auteurs ou encore par le statut administratif des établissements qui les hébergent ? La notion peut-elle englober, au-delà des lieux physiques de conservation, les gisements d’informations paratextuelles dispersés dans les archives de la radio-télévision, ou encore des dispositifs tels que des collections d’entretiens[15], suivant de nouveaux emplois sémantiques dont les occurrences tendent à se multiplier[16] ? Si l’émergence du concept d’archive audiovisuelle et l’accession des supports de l’image et du son au statut de document – longtemps réservé à des productions écrites – doivent être considérées à la lumière du mouvement d’« extension du domaine des archives[17] » résultant des mutations du contexte culturel et technique ayant jalonné les deux derniers siècles, la question se pose actuellement à nouveaux frais. En effet, le phénomène s’inscrit désormais dans une autre dynamique de transformation, correspondant à la transition vers une civilisation du tout numérique. Dans ce contexte, les pièces d’archives « traditionnelles » changent elles aussi de support – les textes et brouillons deviennent digitaux, les correspondances électroniques, les photographies numériques – et tendent à converger vers ces mêmes serveurs informatiques qui hébergent aujourd’hui la majeure part des sources audiovisuelles. Cette évolution met en perspective un déplacement du centre de gravité des archives littéraires, aspiré vers ce continent immatériel que constitue la sphère du numérique.

Reste à savoir quel statut revêtira, dans l’avenir, le patrimoine audiovisuel au sein des études littéraires. Quels sont l’intérêt scientifique et le potentiel heuristique des collections sonores et filmiques ? Quelles connaissances se dégagent de ces bibliothèques audiovisuelles, sonothèques de voix et téléthèques d’auteurs illustres ? À quel titre peuvent-elles éclairer la trajectoire d’une carrière d’écrivain ou la signification d’une œuvre ? Les citations d’entretiens filmés sont-elles appelées à occuper, dans de futurs travaux savants, une place équivalente à celle qu’occupaient les extraits de journaux personnels ou de correspondances dans le passé ? D’ailleurs, comment citer, au juste, le contenu d’une œuvre audiovisuelle au sein d’un travail écrit ? Ce sont des interrogations qui, dans les prochaines années et décennies, ne manqueront pas de se poser de manière accrue. Dans cette perspective, comme le suggérait Roger Odin, « il faut se donner les moyens de théoriser[18] ».

                                          

Université de Lausanne


[1] La notion d’archive audiovisuelle peut englober, dans son acception la plus large, des fonds réunissant des documents aussi bien sonores, audiovisuelles, cinématographiques et photographiques. Selon une définition de l’UNESCO, elle désigne « 1. Les enregistrements visuels (avec ou sans bande-son), indépendamment de leur support physique et du procédé d’enregistrement utilisé, tels que les films, les projections fixes, les microfilms, les diapositives, les bandes magnétiques, les télé-enregistrements, les vidéogrammes (bandes vidéo, vidéodisques), les disques laser à lecture optique […] 2. Les enregistrements sonores, indépendamment de leur support physique et du procédé d’enregistrement utilisé, tels que les bandes magnétiques, les disques, les bandes son d’enregistrements audiovisuels, les disques laser à lecture optique […] ». (Birgit Kofler citée dans Jacques Guyot et Thierry Rolland, Les Archives audiovisuelles : histoire, culture, politique, Paris, A. Colin, 2011, p. 20.) On retiendra ici la définition, plus restreinte, de Ray Edmondson : « Les archives audiovisuelles sont des organisations, ou des services au sein d’organisations, qui se consacrent à la collecte, à la gestion, à la conservation et à la communication d’une collection de documents audiovisuels et du patrimoine audiovisuel » (Ray Edmondson, Une philosophie de l’archivistique audiovisuelle (1998), cité dans ibid., p. 21).

[2] À ce jour, le Centre d’archives Gaston-Miron conserve plus de 5000 documents audiovisuels, l’IMEC environ 7000 et les Archives et Musée de la littérature environ 3500.

[3] La BnF conserve, entre autres, la collection des Archives de la Parole (1911-1928) de Ferdinand Brunot, contenant de nombreux enregistrements de poètes ou écrivains récitant leurs propres textes.

[4] Cet établissement historique, fondé en 1946, portait jusqu’en 2009 le nom de Centre national de cinématographie (CNC).

[5] IMVOCS s’inscrit dans la continuité du projet VOCS (1996-1998), mené dans une visée analogue mais restreint aux sources sonores. À son sujet, voir Denis Bussard, Daniele Cuffaro, Magnus Wieland (dir.), « IMVOCS : Images et Voix de la Culture Suisse », Passim : bulletin des Archives littéraires suisses, n° 11, 2012.

[6] En matière de dépôt légal de l’audiovisuel, la France possède la législation la plus détaillée et avancée. Instaurée en 1992, sa loi sur la collecte automatique et le dépôt obligatoire des productions audiovisuelles ne connaît pas encore de véritable équivalent dans les autres pays de la francophonie du nord. Des dispositions similaires, mais plus restreintes, ont été mises en place au Québec, où un dépôt légal du film et des émissions de télévision est confié depuis 2006 à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

[7] Laurence Boudart, entretien inédit, propos recueillis par Selina Follonier, juin 2019.

[8] Il va de soi que ces différentes orientations ne sont aucunement exclusives mais en général cumulées. Ainsi, l’enjeu de la valorisation scientifique concerne, à l’évidence, l’ensemble des organismes, mais suivant un degré de priorité variable.

[9] Au sujet des droits en matière de productions audiovisuelles, voir par exemple Jacques Guyot et Thierry Rolland, Les Archives audiovisuelles : histoire, culture, politique, op. cit., p. 157-166.

[10] En ce qui concerne le cadre juridique définissant le rapport entre l’INA et les chaînes de radio-télévision françaises, voir Emmanuel Hoog, L’INA, Paris, Presses universitaires de France, 2006.

[11] Emmanuel Hoog, L’INA, op. cit., p. 98.

[12] Bruno Bachimont, « Bibliothèques numériques audiovisuelles : des enjeux scientifiques et techniques », p. 12, www.academia.edu/29616282/Bibliothèques_numériques_audiovisuelles_Des_enjeux_scientifiques_et_techniques [consulté le 19 octobre 2019].

[13] À titre d’exemple, on remarque une fréquente non-correspondance entre les titres d’émissions affichés sur les plateformes numériques, ceux spécifiés dans les émissions elles-mêmes et ceux imprimés dans les programmes de radio-télévision – en particulier lorsque les sources sont mises à disposition sur des plateformes grand public.

[14] Ces interrogations sont cruciales lors de la constitution de corpus de recherche. Si, dans le contexte études de cas portant sur une œuvre ou une série d’émissions spécifique, le croisement avec d’autres sources (presse de programme, dossiers de production…) permet d’évaluer la complétude des corpus, l’enjeu devient plus complexe lorsque l’on travaille sur des ensembles documentaires plus vastes et transversaux, voire transnationaux.

[15] On pense à des collections telles que les Archives du XXe siècle (1968-1974) de Jean José Marchand, aux « grands entretiens » d’Apostrophes ou encore aux Ateliers d’écriture (1994-1998) de Pascale Bouhénic. Au sujet de cette acception spécifique du terme d’archive, je me permets de renvoyer à « Une archive audiovisuelle de la création littéraire : les Ateliers d’écriture de Pascale Bouhénic », Genesis, n° 49, 2019, p. 165-175.

[16] Dans son ouvrage L’Entretien littéraire : anatomie d’un genre (Paris, Garnier, 2018), Galia Yanoshevsky envisage ainsi les collections d’entretiens comme des dispositifs d’archivage de l’histoire littéraire et artistique.

[17] Jean-François Bert, « Pratiques d’archives : problèmes actuels sur les usages du matériau documentaire », dans Véronique Ginouvès et Isabelle Gras (dir.), La Diffusion numérique des données en SHS : guide des bonnes pratiques éthiques et juridiques, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2018, p. 31.

[18] Roger Odin, « L’histoire littéraire et les médias », in Henri Béhar et Roger Fayolle (dir.), L’Histoire littéraire aujourd’hui, Paris, A. Colin, 1990, p. 56.

Plonger dans la mine des archives Casterman (par Anthony Glinoer)

1 août 2019

J’ai plutôt été un enfant de Dupuis, du Lombard et de Spirou. Casterman, c’était Alix et Tintin. Je lisais les Tintin à l’occasion, en reconnaissant le prestige de l’auteur, en prenant pour acquis qu’il y avait chez Hergé un sommet (mais de quoi ?). J’évitais en revanche Alix et Martine, publiés aussi par Casterman. Mon vrai plaisir venait des Tuniques bleues, de Yoko Tsuno, de Tif et Tondu ou encore de Broussaille. Et puis Casterman, éditeur catholique historique à Tournai, près de la frontière entre la Belgique où j’ai grandi et la France qui attirait mes regards (je suis devenu professeur de littérature française), Casterman, c’est devenu (À suivre), une revue de bande dessinée d’auteur (comme on dit du cinéma d’auteur) que mon frère lisait mais qui me rebutait. Tardi, Comès, Hugo Pratt, je suis largement passé à côté de ces auteurs parce qu’à l’âge où j’aurais, l’habitus faisant foi, dû m’y intéresser, j’ai succombé à la passion pour les comics books de super-héros : Batman d’abord (c’est l’époque de la sortie du premier film de Tim Burton), Marvel ensuite grâce aux revues en français Strange, Special Strange et autres Titans.

Bien du temps a passé. Je ne lis plus guère de bandes dessinées franco-belges. Je regarde comme tout le monde les films de super-héros que Marvel Studios a tirés des histoires que je lisais il y a trente ans.

Lors de mes nombreux trajets entre Montréal et Sherbrooke, j’écoute chaque fois au moins une émission baladodiffusée de France-Culture. Des émissions d’histoire, de sciences sociales, de sciences naturelles. Celle que j’ai écoutée sur la route en ce début de juin avait un cachet spécial, non seulement parce qu’elle s’inscrivait dans une série sur les archives, mais encore parce que c’était la première émission de La Fabrique de l’Histoire qui m’est venue aux oreilles depuis l’annonce de la non-reconduction de l’émission à la rentrée 2019. Emmanuel Laurentin, son animateur, va se consacrer à d’autres projets et une autre émission d’histoire lui succèdera. Je suis venu tard, il y a moins de deux ans, à La Fabrique de l’Histoire. Cinq émissions par semaine, ce n’est pas mon rythme. Quand j’ai finalement accroché, je l’ai écoutée aussi souvent que possible, sur mille sujets. 52 minutes, la durée était parfaite pour mon temps de voyage, même si je devais faire le deuil de la moitié des émissions.  

En l’occurrence, c’était une rediffusion d’une série sur « les plongées dans les archives des historiens et des historiennes ». Les autres numéros de la série étaient consacrés au fossile de Little Foot en Afrique du Sud, à l’autobiographie d’un enfant enfermé dans un asile, aux enregistrements du procès de Rivonia, qui a vu condamner entre autres Nelson Mandela à la prison à vie, enfin à l’autrice de l’indispensable Goût de l’archive : Arlette Farge.       

Le dernier numéro de la série a attiré, forcément, mon attention : un reportage de Victor Macé de Lépinay et Marie-Laure Ciboulet sur les archives de Casterman et sur l’histoire de la maison d’édition. Une autre manifestation de l’intérêt pour les archives d’éditeurs. « Que faire avec les archives de la bande dessinée ? ». Cette question, posée par Emmanuel Laurentin en incipit de l’émission, est au cœur de la problématique abordée par notre projet de recherche.

Le discours de lancement disponible sur le site de l’émission met l’eau à la bouche : « “Tout est parti d’un tweet. En 2016, Benoît Mouchart, directeur de la bande dessinée chez Casterman, publie sur les réseaux sociaux la photo d’une lettre d’Hugo Pratt retrouvée dans les archives de Casterman à Tournai. On se dit qu’il doit y avoir plein de choses à y découvrir et que ce serait intéressant d’y aller faire un tour. »

Avant de les accompagner, situons en quelques mots les éditions Casterman dans leur histoire[1]. Le fondateur, Donat Casterman, cumulait les fonctions, comme c’était d’usage à l’époque, d’imprimeur, de libraire et d’éditeur. Sous sa conduite, sous celle de ses fils puis de ses petits-fils, la maison fondée en 1777 a pris une durable expansion en agissant comme imprimeur et relieur d’une part, comme éditeur de livres religieux et de « livres de prix » d’autre part. Casterman ouvre une succursale à Paris, imprime des annuaires du téléphone et du chemin de fer. Les affaires prospèrent.

Les deux guerres mondiales ne semblent pas avoir trop perturbé le cours de cette histoire. La date à retenir est plutôt celle de 1934 : la parution des Cigares du pharaon, la première aventure de Tintin publiée par Casterman. Ce sont même les éditions Casterman, en accord avec Hergé, qui ont expérimenté pour la première fois le format de l’album pour la jeunesse au nombre de pages prédéfini ainsi que l’usage de la polychromie. Ces deux décisions techniques ont eu un impact considérable sur l’ampleur du lectorat de la bande dessinée franco-belge. Le succès mondial de Tintin et, plus tard, de Martine, ont assuré à la maison tournaisienne une place de choix parmi les éditeurs pour la jeunesse.

La période sur laquelle se penchent les documentaristes et leurs interlocuteurs est postérieure à ce premier âge d’or. Il s’agit, dans les années 70, du renouvellement du catalogue de Casterman autour de la bande dessinée et du livre pour enfants. Les acteurs interviewés dans La Fabrique de l’Histoire sont entrés chez Casterman dans ces années-là : c’est le cas de Didier Platteau, nommé en 1972 à la direction de la revue (À suivre) du secteur de la bande dessinée.

Toutes les grandes entreprises d’édition qui ont dominé l’édition de bande dessinée et de livres jeunesse dans la Belgique (et bien au-delà) du XXe siècle ont fini rachetées, démembrées, recyclées. Parfois avec succès (Dupuis, le Lombard), parfois plus tristement (Marabout). Casterman n’a pas fait exception. La maison d’édition a été rachetée en 1999 par Flammarion, puis avec Flammarion par Gallimard pour aboutir aujourd’hui dans le groupe Madrigali. Pendant ce temps, l’imprimerie, qui employait 800 personnes dans les années 60 et 600 vingt ans plus tard, a subi une série de rachats malheureux qui vont précipiter la chute de Casterman au XXIe siècle.

Je ne retiens que trois spécificités de Casterman parmi les grandes dynasties éditoriales nées au XIXe siècle : l’ancrage à Tournai, petite ville bourgeoise frontalière, le rôle de la religion catholique et donc de l’évêché dans la politique éditoriale, et le maintien d’une double activité d’imprimerie et d’édition.

Les documentaristes sont allés sur place et ils y ont rencontré des dirigeants de l’entreprise, l’archiviste de Tournai, un doctorant qui consacre sa thèse à ce fonds d’archives, ainsi que son directeur, Sylvain Lesage, lui-même spécialiste de l’histoire éditoriale de la bande dessinée. Le documentaire fait alterner scènes de visite (une église, les rues avoisinantes, le bâtiment des archives) et témoignages d’acteurs : Bernard Desmaële, Conservateur des archives de l’Etat à Tournai, Benoît Mouchart, directeur de la bande dessinée chez Casterman, Didier Platteau et le dernier héritier de la famille, Louis-Donat Casterman.

Avec le conservateur, on entre « dans la mine ». Plus d’un kilomètre d’archives qui n’ont pas été déposées à l’IMEC comme il avait été prévu au départ mais plutôt, sous la pression de la famille Casterman, conservées aux archives de l’État à Tournai. Le documentaire passe un long moment avec Florian Moine, doctorant de son état. Dans sa « cellule monastique », il passe ses journées à prendre des notes et à inventorier les dossiers qui ne l’ont pas été. Avec Florian Moine, on a un peu le doctorant modèle : passionné par son sujet, dévoué à son fonds, consciencieux, très conscient enfin qu’il crée lui-même de l’archive : c’est à cela que servent les notes et les annexes de la thèse, après tout. Il nous montre quelques pépites, comme cette lettre d’insultes envoyée par un lecteur insatisfait de la mise en couleurs d’albums de Corto Maltese. Des lettres de l’éditeur à Tardi et à Hugo Pratt, des contrats, des notes. On assiste grâce aux archives à un tournant dans l’histoire de la maison : Casterman décide de concentrer ses activités d’édition sur la littérature pour la jeunesse et la bande dessinée.

Précisons enfin que sur la page internet de l’émission se trouve un renvoi à l’article « Les archives Casterman : un continent inconnu » écrit par l’un des intervenants, Sylvain Lesage. La trouvaille est double puisque cet article illustré est issu d’un dossier de la revue Strenæ : recherches sur les livres et les cultures de l’enfance intitulé « La collection, fabrique éditoriale des œuvres pour la jeunesse : l’apport des archives ». Ce dossier, dirigé par Marie-Pierre Litaudon, recèle des contributions passionnantes sur des collections pour la jeunesse en France, en Italie et en Espagne. 

Toutes les composantes de notre plateforme http://archiveseditoriales.net trouvent donc à s’enrichir de la consultation de cette passionnante émission : l’histoire de la maison racontée par des entrevues avec des acteurs de cette histoire, la visite guidée par des historiens et des archivistes des lieux où se tenait l’entreprise à Tournai et des archives de ce qu’il reste de la maison, la découverte de pièces d’archives, tout cela montre la richesse des archives éditoriales tout en créant de l’archive éditoriale.



[1] Voir Serge Bouffange,Pro Deo et patria : Casterman : librairie, imprimerie, édition : 1776-1919, Genève, Droz, 1996. Voir aussi, plus généralement, l’Histoire de l’édition  en Belgique de Pascal Durand et Tanguy Habrand, Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2018.

Stratégies éditoriales, stratégies marketing : Fides et les journaux (par Camélia Paquette)

21 mai 2019

Les Éditions Fides se distinguent dans l’histoire éditoriale du Québec par l’articulation heureuse entre une visée commerciale et une vocation religieuse. La publicité dans les journaux illustre les différentes stratégies marketing qu’elles ont adoptées au cours du temps.

La revue Mes Fiches, destinées à l’étude cléricale et à l’orientation des lectures, est à l’origine de la fondation des Éditions Fides. Le mensuel prenant de l’expansion, les Éditions Fides encouragent l’achat d’accessoires connexes pour organiser les différents fascicules, notamment une boîte de rangement, des chemises de classement, des cahiers à anneaux et un index. De cette manière, tandis qu’elles augmentent leur profit, l’étudiant, actif, participe à l’organisation de ses lectures.

Les Éditions Fides s’adaptent aussi au contexte socio-historique dans une attitude qui peut presque être qualifié d’opportunisme. Lors de la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle le Québec a connu un important essor éditorial, elles se servent du conflit pour promouvoir la vente de missels dans les journaux. Tandis que la première annonce de mars 1943 cible les familles des militaires pour les inciter à offrir « le missel le plus pratique », la seconde les encourage à donner aux soldats un tract écrit par un aumônier pour les « éclairer et leur rendr[e] service ». Les Édition Fides utilisent ainsi l’éloignement entre les hommes et leur famille et le sentiment d’impuissance de celle-ci pour promouvoir l’achat d’ouvrages catholiques.

À la fin des années 40, comme le montre la publicité suivante, les Éditions Fides mettent en place un club de lecture. Chaque mois, l’abonné reçoit deux livres à prix réduit sélectionnés par la maison d’édition. Cette stratégie permet de promouvoir la lecture et d’écouler les surplus de marchandises.

Le « baby-boom » et l’importance que prend l’éducation au Québec ouvrent aux éditeurs les portes du marché scolaire et de la littéraire jeunesse. Les Éditions Fides créent dans les années 50 les revues pédagogiques L’élève et Le maître, la première destinée aux étudiants et la seconde à l’enseignant. Avec la mention « Gratis! Gratis! », la publicité s’adresse aux professeurs et les encourage à essayer cet outil d’enseignement adapté au nouveau programme scolaire. La revue Hérauts, un succès dérivé du comic book américain avec une réorientation catholique, est aussi largement présente dans les promotions journalistiques de Fides. La maison d’édition attire l’œil des jeunes, sa clientèle visée, avec des publicités imagées et dynamiques et une interpellation faite directement à l’enfant (« Pour les Fêtes, demandez en cadeaux à vos parents les albums Hérauts »). Fides utilise ainsi les occasions festives, dans ce cas-ci Noël, pour proposer ses ouvrages.

Les Éditions Fides, au-delà de leur vocation de promotion de la lecture et de la religion catholique, mettent en place de véritables stratégies marketing pour diffuser largement leur produit et, surtout, augmenter leur chiffre d’affaires. Les publicités dans les journaux, conservées dans le fonds d’archives des Éditions Fides de l’Université de Sherbrooke, attestent de ces pratiques qui ont contribué à faire de Fides l’une des maisons d’édition québécoises les plus importantes du xxe siècle.

Source : Jacques Michon. Fides. La grande aventure éditoriale du père Paul-Aimé Martin. Québec, Fides, 1998, 387 p.

Robert Yergeau, l’éditeur homme-orchestre (par Loïc Gauthier Le Coz)

9 avril 2019

Je n’ai pas connu Robert Yergeau. Mais j’ai l’étrange impression de l’avoir fréquenté en fouillant dans des boîtes. Au fil des derniers mois, j’ai eu la chance de me plonger dans le fonds d’archives des Éditions du Nordir. Il regorgeait de documents en tous genres: affiches, coupures de journaux, révisions de textes et surtout, une abondance de correspondances. Très rapidement, ça m’a sauté aux yeux. L’ensemble des documents du Nordir, à quelques exceptions près, portait la marque de Robert Yergeau. Le plus étonnant, c’est que dans le fonds d’archives d’une maison d’édition qui a publié plus de 150 ouvrages, des auteurs tels que François Paré, Herménégilde Chiasson, Tina Charlebois, Daniel Poliquin, Michel Ouellette et Andrée Christensen, il ne semblait pas y avoir de traces de plus d’un membre à l’équipe de production.

Cela me paraissait étrange. Après tout, le processus de production littéraire est long et méticuleux et comprend de nombreuses étapes. C’est une machine bien huilée qui nécessite un entretien constant et rigoureux, et qui s’avère être particulièrement exigeante. C’est pourquoi il est normal de voir des équipes entières s’acharner à l’édition et à la publication d’œuvres littéraires. Mais dans le cas du Nordir, c’est bel et bien un seul homme qui a réussi à accomplir ce tour de force. Pendant plus d’une décennie, Robert Yergeau a assuré la création ainsi que le maintien d’une maison d’édition à lui tout seul. C’était un véritable homme-orchestre du monde littéraire franco-ontarien, capable d’accomplir une multitude de tâches complexes pour publier des auteurs d’ici.

D’après les 6 boîtes de documents qui constituent le fonds d’archives du Nordir, Yergeau a clairement travaillé d’arrache-pied à la fondation et au maintien de la maison d’édition. De sa création à Hearst jusqu’à sa dissolution à Ottawa, Yergeau maintenait le bateau à flot. Ce n’était pas bien difficile à constater : tous les documents du fonds portaient la marque de sa plume. Yergeau faisait office d’éditeur, de secrétaire, de comptable, de responsable du marketing, des communications, des relations avec les bailleurs de fonds, sans compter la révision minutieuse des manuscrits, les choix de maquette,  la relation avec les médias ainsi que d’innombrables autres tâches administratives. Dans tous les cas, Yergeau était  la force vitale du Nordir, le souffle qui poussait cette petite maison d’édition à publier bon an mal an au moins 8 titres par année, dont plusieurs oeuvres qui ont été décorées ou ont marqué le paysage littéraire franco-ontarien, et même la Francophonie quand on pense à l’oeuvre de François Paré.

Mais par-delà l’abondance impressionnante et diversifiée de documents, ce sont surtout les correspondances de cet éditeur qui m’ont frappé. Elles permettaient de voir les multiples chapeaux de Yergeau lors de son travail d’édition. Un jour, il écrivait une lettre de demande d’appui au recteur de l’Université d’Ottawa pour le Nordir; le lendemain, il pouvait envoyer promener un journaliste à la suite d’un désaccord pour la publication d’un article. De toutes parts, ces documents sont ponctués par des échanges très personnels. Partout, je voyais le rapport intime de l’approche attentionnée de Yergeau à l’égard des gens, en particulier les auteurs qu’il publiait. Il divisait souvent sa parole entre le personnel et le professionnel lorsqu’il s’adressait à eux, et la phrase « je te parle maintenant en tant qu’ami, pas en tant qu’éditeur » revient à plus d’une reprise dans ses lettres et ses correspondances.

Cette attention est peut-être due en partie au fait que Yergeau conférait une grande valeur à la fonction d’écrivain. Il tenait clairement à aider l’écrivain à se faire entendre et à souligner son importance en société. Il n’est pas difficile d’imaginer les heures innombrables qu’investissait Yergeau pour faire aboutir ses publications, des heures invisibles. Mais Yergeau ne semblait pas penser aux bénéfices financiers que pourraient lui apporter le Nordir, ça c’était clair. C’était plus personnel que ça, c’était une véritable vocation. Sa relation avec Roger Bernard en témoigne parfaitement. Yergeau a non seulement fondé le Nordir dans le seul but de publier l’essai de son collègue et ami, mais après le décès prématuré de celui-ci, Yergeau a acheté au nom du Nordir une pleine page dans le journal Le Droit pour honorer sa mémoire. Robert Yergeau ne gérait pas le Nordir par obligation, il le faisait par idéal afin de donner une voix aux écrivains qu’il jugeait essentiels à notre société.

Il m’est arrivé à plus d’une reprise de me sentir comme un intrus lorsque je passais en revue le contenu du Nordir. Lire les correspondances et la documentation de cette maison d’édition, c’était comme lire dans une partie de la vie de Robert Yergeau. En quelque sorte, il semblait y avoir eu une symbiose entre l’homme et la maison d’édition. Les deux étaient presque impossibles à distinguer tant la présence de Yergeau se faisait sentir dans tout le fonds. Yergeau c’était le Nordir. Il s’agissait d’un véritable travail de passion, pour la littérature et les écrivains. Du moins, c’est ce que j’en déduis par les écrits qu’il a laissés derrière lui.

Quand le catalogue construit (et vend) l’histoire littéraire. Un autre regard sur « Livres, disques, etc. » du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (par Mathieu Simard)

23 mars 2019

Les catalogues ne cherchent pas qu’à vous vendre des livres. Ils vous vendent aussi une histoire. Je ne parle pas ici des récits qui se trouvent dans les romans que vous achèterez et lirez à coup sûr, mais d’une version de l’histoire littéraire que vous suggère le catalogue et de laquelle vous pouvez faire partie en vous procurant l’un de ces livres présentés de manière alléchante.

On vous interpelle, comme dans ces romans (ou maintenant ces films, si on pense à la populaire production de Netflix Bandersnatch) dont vous êtes le héros. Achetez cette jeune autrice ou ce jeune auteur! (C’est plus spécifiquement son livre que vous achèterez et non la personnelle elle-même mais la nuance n’importe peut-être pas ; vous encouragez un.e artiste de « la relève », lance-t-on.) Optez plutôt pour l’un de ces « textes fondateurs »! (Vous vous assurerez alors d’être à jour dans votre connaissance de la littérature franco-canadienne et de n’avoir manqué aucun ouvrage du passé conjuguant valeur intrinsèque et notoriété publique.) 

J’ai discuté dans un précédent billet du catalogue Livres, disques, etc.du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC). J’ai été fasciné par la création du personnage de Francine, qui, dit-on, vous répondra si vous l’appelez pour commander l’un des livres proposés. Nous avons l’habitude des personnages dans les romans, mais dans les catalogues, c’est plus surprenant. Cette technique narrative consistant en la constitution d’un personnage (ou d’un effet-personnage, pour reprendre l’expression de Vincent Jouve) permet une prise en charge efficace de l’expérience commerciale du livre. Mais il ne s’agit pas de la seule stratégie narrative pouvant être déployée par ce genre de document. C’est aussi dans les catalogues et par les catalogues que se construit, se diffuse et se monnaye l’histoire littéraire.

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Cette histoire littéraire commercialisée est posée dans Livres, disques, etc. en véritable « parcours de lecture » (je reprends cette fois le concept de Lucie Hotte dans Romans de la lecture, lecture du roman): pour circuler dans le dédale des livres disponibles, on vous prend par la main, vous conduit à préférer certains ouvrages à d’autres, éveille votre curiosité sur la littérature franco-canadienne et vous entraîne à la voir sous un certain angle, à partir d’un point de vue raisonné. On ne vous laissera pas seul dans cette jungle. Il n’y aurait aucun intérêt pour le REFC à produire un catalogue si le regroupement ne voulait pas promouvoir les livres de ses éditeurs, et surtout les promouvoir d’une certaine façon, qui donnera au lecteur l’envie de les acheter. À cet égard, proposer une version de l’histoire littéraire franco-canadienne peut s’avérer particulièrement profitable. Quoi de mieux, pour intéresser les consommateurs à ses livres, que de situer ces derniers dans un récit commun où chacun a sa place, son originalité et sa raison d’être.

Le supplément de l’été 2007 de Livres, disques, etc. consacre sa page 5 à la « relève » – une expression communément employée pour désigner la plus jeune cohorte d’écrivains, selon une conception linéaire de la succession des générations littéraires. La « relève » présentée ici est composée essentiellement de poètes qui « prennent leur place dans le paysage littéraire », qu’ils soient en Ontario (Éric Charlebois, Tina Charlebois, Daniel Aubin, Guylaine Leblanc) ou en Acadie (Brigitte Harrison, Christian Roy, Georgette Leblanc et Éric Cormier). Il ne s’agit toutefois pas dans le catalogue de représenter ces écrivains comme des contestataires qui, sur le mode de l’avant-garde, tenteraient de supplanter les voix du passé. Pas du tout! Bien au contraire, Livres, disques, etc. précise que « leurs voix [celles des nouveaux poètes] s’ajoutent à celle qui les précèdent et s’y mêlent ».

Ces voix plus anciennes sont d’ailleurs exposées aux pages 6 et 7, de manière à ce qu’on ne les oublie pas. Les œuvres d’écrivains de l’Ouest (J.R. Léveillé), de l’Acadie (Gérald Leblanc, Herménégilde Chiasson et Raymond Guy Leblanc) et de l’Ontario (Robert Dickson et Patrice Desbiens) ayant été principalement actifs entre les années 1970 et 1990 se trouvent ainsi surplombées de l’intertitre « Textes fondateurs ». Aux lecteurs moins familiers avec l’histoire littéraire franco-canadienne, Livres, disques, etc. explique que si les formes de la littérature du Canada francophone « se multiplient sans cesse », les textes fondateurs, quant à eux, « demeurent ancrés dans les mémoires » ; ainsi, « les vers de Gérald Leblanc et de Robert Dickson sont encore sur nos lèvres ». Encore une fois, on remarque la volonté de parler non des littératures francophones du Canada, au pluriel, mais de la littérature franco-canadienne : qu’ils viennent de l’Ouest, de l’Ontario ou de l’Acadie, les écrivains d’ici se rejoignent dans le récit que propose le catalogue du REFC.

Ce n’est pas tout. Cette histoire littéraire franco-canadienne construite et vendue par le REFC en même temps que les livres et les écrivains protagonistes de ce récit serait incomplète sans les « Voix d’ailleurs » auxquelles est réservée en particulier la page 10 du même numéro. Tchitala Kamba, Angèle Bassolé-Ouédraogo, Dominique Zalitis et Bathélemy Bolivar se trouvent mis à l’honneur. Leur écriture « enrichit » le milieu littéraire canadien-français, insiste-t-on, car ces poètes « tentent de tisser des liens entre un ailleurs toujours près et un présent parfois difficile ». Ces écrivains sont publiés par des maisons d’édition situées autant dans l’Ouest (Éditions des Plaines et Éditions du Blé) qu’en Ontario (L’Interligne et Éditions David). Autrement dit, peu importe où se trouve leur maison d’édition, les écrivains font partie intégrante de l’harmonieuse histoire franco-canadienne déployée dans Livres, disques, etc.

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Faire de l’histoire littéraire à partir d’un outil promotionnel constitue une efficace stratégie de marketing dans le cadre d’un catalogue portant sur des littératures francophones en contexte minoritaire. Ces littératures ont le défi de se faire connaître (par ceux qui se trouvent à l’extérieur de leur communauté, surtout les québécois et les canadien-anglais) autant que de solidifier les différentes communautés franco-canadiennes représentées en leur proposant une histoire littéraire commune. En fait, le catalogue Livres, disques, etc. figure parmi les premières productions culturelles à revendiquer l’existence d’une seule histoire littéraire franco-canadienne, qui n’opérerait pas de distinctions rigides (voire pas de distinctions du tout) entre l’histoire de la littérature franco-ontarienne, celle de l’acadienne et celle de la franco-ouestienne. Cette originalité, si elle est sans doute redevable en partie d’impératifs commerciaux, économiques et institutionnels, n’en indique pas moins un mouvement dans le discours social, les communautés francophones du Canada racontant désormais au singulier leur histoire, leur présent et leur avenir.

« Francine s’occupe de vous! » La prise en charge de l’expérience commerciale du livre dans « Livres, disques, etc.» du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (par Mathieu Simard)

8 mars 2019

Vous ouvrez le catalogue. À l’endos de la couverture, une femme vous regarde et vous sourit, bienveillante. Ses mains sont posées avec désinvolture l’une sur l’autre au sommet d’une pile de livres, de disques compacts et de boîtes de cassettes VHS qui lui monte jusqu’au menton.

Qui est cette femme? Vous croyez distinguer une alliance d’or à son annulaire gauche. Oui, c’est bien cela, elle doit être mariée. À l’oreille droite, elle porte une boucle argentée. Les cheveux grisonnants, les yeux pleins de mystère, le visage à peine ridé par ses années d’expérience (une quarantaine, estimez-vous), Francine est là, prête à prendre votre appel.

« Commander, c’est facile! Francine s’occupe de vous! Téléphonez sans frais », voilà ce que vous lisez en lettres bleues, vertes et bien rondes sur cette publicité ouvrant le catalogue Livres, disques, etc. Le numéro est encore valide et, si vous le composez, vous êtes renvoyé aux bureaux du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC). Si vous ne souhaitez pas saisir le combiné et entreprendre une discussion avec Francine, il y a toujours le télécopieur – ou le web : « Par internet, c’est encore plus facile! http://livres-disques.franco.ca ».

Copiez-collez l’adresse dans la barre de recherche de votre navigateur, appuyez sur la touche entrée, et vous vous trouvez instantanément dans un cul-de-sac. « Ce site est inaccessible. Impossible de trouver l’adresse IP du serveur de livres-disques.franco.ca ». Le lien est mort aujourd’hui mais vous restez quelques minutes devant l’écran à imaginer les merveilles qu’il recelait autrefois.

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Livres, disques, etc. est un catalogue de livres franco-canadiens né de l’initiative du REFC, en partenariat avec la Société Radio-Canada, l’Association de la presse francophone et le Réseau des radios communautaires. Créé en 1989 sous le nom de Regroupement des éditeurs franco-canadiens, le RÉFC rassemble des éditeurs francophones de l’Ontario, de l’Ouest canadien et de l’Atlantique avec l’objectif « de mener des actions concertées dans le domaine de la commercialisation, de la promotion, de la représentation et de la formation ».

Les objectifs du projet Livres, disques, etc., lancé en 1999,allaient dans la même direction : s’assurer que les éditeurs rejoignent leurs marchés et que les lecteurs ont accès aux livres et à d’autres produits culturels grâce à des mécanismes de vente. Catalogue, site internet et activités promotionnelles diverses étaient au rendez-vous. Le projet visait surtout au départ à rejoindre des consommateurs francophones ou francophiles (on trouve ainsi des publicités en anglais et des passages partiellement bilingues dans le catalogue) habitant dans des régions éloignées privées de libraires ou de disquaires francophones. Si je parle uniquement ici du catalogue Livres, disques, etc. lui-même, le projet comprenait aussi, faut-il le noter, un système d’approvisionnement et de distribution de produits culturels francophones sans lequel le catalogue aurait probablement été de moindre utilité.

« Des heures de bonheur pour toute la famille! », nous disait le slogan du catalogue, qui entendait séduire des consommateurs de tous les âges grâce à une offre de produits variée et des campagnes promotionnelles ciblées. « Lire, c’est cool », lance par ailleurs une publicité s’adressant visiblement aux plus jeunes. En 2010, le catalogue a été rebaptisé À vos livres en plus de s’être vu octroyer l’étiquette générique « guide lecture » : être une boussole, mettre le consommateur sur la voie, l’accompagner, n’était-ce pas de toute manière la finalité de cet outil de promotion qu’on appelait auparavant du nom sans doute désormais jugé trop peu alléchant de « catalogue »?

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Le nord indiqué par cette boussole est toutefois celui qui a été retenu par les artisans du catalogue. C’est dire que l’expérience commerciale du livre par le lecteur est prise en charge dans Livres, disques, etc. au moyen de stratégies narratives. Il s’agit bien, en ce qui concerne le catalogue, d’une expérience commerciale du livre — et non d’une expérience du livre en tant que tel, comme objet de lecture. Ici, ce n’est pas le livre que le lecteur lit, mais un catalogue dont les livres sont les protagonistes. Les livres et aussi, parfois, les auteurs de ces derniers lorsqu’ils se trouvent mis à l’avant-scène. Les livres, les auteurs et… Francine.

L’originale stratégie narrative de cette édition du catalogue Livres, disques, etc. est de peindre un personnage, Francine, qui, nous assure-t-on, sera chargée de prendre notre commande et de nous envoyer nos livres. Une familiarité qui est certainement la bienvenue étant donné les marchés auxquels entend s’adresser le REFC par l’entremise du catalogue, ceux des petites communautés, parfois éloignées des grands centres. Ce n’est pas sans raison que des chroniques au nom de Livres, disques, etc. et portant sur des livres ou des disques proposés dans le catalogue furent diffusées sur des radios communautaires et publiées dans des journaux locaux comme Le goût de vivre,situé à Tiny, en Ontario.

Surgissant pour ainsi dire in medias res dès le début d’un numéro du catalogue, Francine donne un visage à Livres, disques, etc. et à un système de vente et de distribution qui resteraient anonymes sinon. « Commander, c’est facile! Francine s’occupe de vous! Téléphonez sans frais ». Le lecteur sait ou du moins pense désormais que s’il téléphone, il sera pris en charge par Francine et nulle autre. Il ne parlera pas avec une inconnue. Elle pourrait être sa mère, sa sœur, son amie ou la gentille dame qui le sert à la librairie du coin. Elle est bel et bien là, sur la page, paraissant enchantée de faire son travail et d’être entourée de produits culturels francophones. Elle était d’ailleurs prédestinée à obtenir cet emploi. « Francine », est-ce que ça ne ressemble pas à s’y méprendre à « français »? Le lecteur a l’impression de la connaître et ne cherchera pas à savoir si elle a véritablement travaillé pour le REFC ou s’il ne s’agissait que d’une actrice. Son inexistence le décevrait trop. 

Sa fictionnalité, devrait-on dire plutôt. Car dans tous les cas de figure Francine est un personnage – dans le catalogue du moins. Le nom « Francine », en plus de cette heureuse proximité avec « français », permet également d’appuyer par la consonance la simplicité de l’achat de produits culturels francophones : c’est « facile » avec « Francine » d’acheter des livres « francos ». En tant que consommateurs, nous apprécions la facilité et voulons sentir que nous sommes des êtres humains plus que de simples clients. Avec Francine, deux pierres d’un coup. Le consommateur sent qu’il est entre de bonnes mains bienveillantes et que cette gentille personne lui facilitera la tâche. Il suffit de composer son numéro et de lui dire quels livres on a envie d’acheter. Rien de plus facile, vraiment.

Fides, « A mari usque ad mare » (par Laurence Patenaude et Josée Vincent)

10 octobre 2018

Considéré dans la perspective de l’histoire de l’édition littéraire au Québec, le dépliant publicitaire Fides Montréal et Paris est certes unique en son genre. Dans ce document tout à fait particulier, ce n’est pas tant des livres et des auteurs dont il est question, mais plutôt d’une mission portée par une entreprise en pleine expansion, que l’on décrit à l’aide de mots, d’illustrations et d’une carte marquant l’occupation du territoire.

Dans le dépliant Fides Montréal et Paris, des termes mis en évidence à l’aide de caractères gras renvoient aux diverses sphères d’activité de Fides. Un organigramme complet de l’entreprise, couvrant l’ensemble de la chaîne du livre, de l’éditeur au lecteur, est ainsi esquissé. Les illustrations renforcent l’image en montrant le « Siège social de Montréal », la « Librairie générale », la « Succursale de Paris » et l’« Imprimerie ». La représentation des lieux physiques, qui viennent incarner les activités, montre aussi l’importance de l’entreprise qui, depuis les années 1950, emprunte le modèle économique de l’intégration verticale.

Pour rendre compte des activités éditoriales de Fides, des collections qui s’adressent à des publics variés sont mentionnées. Parmi les séries littéraires se retrouvent « Les Classiques canadiens », « Le Nénuphar », la collection de poche «Alouette», de même que la collection «La Gerbe d’or» et la revue Héraults destinées aux jeunes lecteurs. On évoque aussi « Philosophie et problèmes contemporains » et «Bibliothèque économique et sociale» dont les titres renvoient à des questions religieuses, philosophiques et sociale. Le catalogue de l’entreprise est donc bien représenté, mais sans que des auteurs ou des titres particuliers ne soient nommés. Le dépliant présente par ailleurs les services offerts aux bibliothèques, qui comprennent entre autres la publication de documents techniques, des bulletins bibliographiques Mes Fiches et de la revue Lecture. Mais ce sont les activités de diffusion qui occupent le plus d’espace. Alors que le texte fait état des clientèles visées, qui incluent des individus, des écoles et des bibliothèques, les listes des librairies et des dépositaires au Québec, au Canada et à l’étranger (notamment à Paris), soulignent l’étendue du territoire couvert par Fides, « La plus vaste organisation de diffusion du livre français en Amérique ». Dès lors, ce n’est plus seulement la diversité des activités de l’entreprise qui est mise de l’avant, mais aussi, et peut-être surtout, son ampleur. Mais quelle signification particulière pouvons-nous tirer de cette image?

Le slogan qui apparaît dans le haut de la première page du dépliant et qui associe Fides à une institution « au service de l’humanisme intégral et de l’ordre chrétien », offre une réponse. L’énoncé présente en effet l’entreprise comme un véritable agent de propagation de la foi. Comme le rappelle Jacques Michon, dans Fides La grande aventure éditoriale du Père Paul-Aimé Martin, « Le programme spirituel de Fides sera modelé sur la pensée du néo-catholicisme de l’entre-deux-guerres. […] Aux lumières et aux progrès de l’art et de la raison, il faut ajouter la dimension de la foi. » (Michon, p. 53) Autrement dit, tout ce que Fides édite, produit et vend peut se rattacher, d’une manière ou d’une autre, à une œuvre missionnaire. À la lumière de cette prise de position, le lien entre la mission de l’entreprise et l’usage de la carte, élément central du dépliant, se dessine. Si la carte illustre le territoire sur lequel Fides exerce ses activités, elle a aussi, pour le lecteur, valeur de symbole. Rappelant les récits des grandes explorations, elle évoque l’œuvre des missionnaires au moment de la découverte du Nouveau-Monde, tandis que les différentes antennes de Fides se présentent comme des avant-postes sur les chemins de la foi. Ce n’est donc plus uniquement une entreprise commerciale que l’on cherche à promouvoir, mais bien une instance au service de l’humanisme intégral, d’un océan à l’autre.

MICHON, Jacques. Fides. La grande aventure éditoriale de Paul-Aimé Martin, Montréal, Fides, 1998, 386 p.

Référence :

Fides Montréal et Paris, dépliant publicitaire, fermé : 21,5 x 14; ouvert : 21,5 x 41,2 cm, [Montréal, Fides, circa 1962], Service des bibliothèques et archives, Université de Sherbrooke, Fonds Éditions Fides (P64, B. 42123).

Description :

Le dépliant Fides Montréal et Paris présente divers éléments textuels et visuels. Le recto compte trois sections. La section de droite, qui forme la page de couverture du dépliant, débute par l’intitulé Fides Montréal et Paris, sur lequel se superpose la devise « au service de l’humanisme intégral et de l’ordre social chrétien ». Viennent ensuite un dessin du siège social de l’entreprise et la liste de ses activités, de l’édition à la librairie (de gros, de détail et scolaire) et à la bibliothéconomie. Les adresses des succursales (dont celle de Paris)  et des dépositaires exclusifs répartis à travers le Canada occupent la deuxième moitié de la section, avec, en pied de page, la mention : « La plus vaste organisation de diffusion du livre français en Amérique ». La section de gauche, que l’on voit lorsqu’on ouvre le dépliant, arbore une photographie de l’intérieur de la Librairie Fides, située au rez-de-chaussée du siège social. Un court paragraphe situe la création de l’entreprise en 1937, puis rappelle son statut légal, les noms de ses principaux dirigeants et sa mission. Un dessin de l’imprimerie Fides est suivi d’un autre paragraphe traitant des publications, notamment des collections les plus populaires. Enfin, la section centrale présente en haut de page le dessin de la succursale de Paris ; suivent la description des activités éditoriales et commerciales, et celle des services offerts aux bibliothèques. Les deux derniers paragraphes insistent sur l’expansion de l’entreprise au Québec, au Canada et à l’étranger. L’intérieur du dépliant présente quant en lui une carte intitulée « Fides au Canada », où sont situés les 6 succursales et les 9 dépôts exclusifs. On mentionne l’existence de 10 «voyageurs» chargés de sillonner le pays, dont la population de langue française s’élève à 5 500 000 locuteurs.

Fabrication de sens (par Laurence Patenaude)

1 octobre 2018

Automne 2017
Ma première session en tant qu’étudiante à l’Université de Sherbrooke s’amorçait. Entre mes cours destinés aux petits nouveaux du programme (ELC 101, ELC 102, etc.), prise dans mon élan de naïveté certaine, j’ai fait la sélection du cours « ELC157 — Aux sources de la création : les archives littéraires ». Un choix que je croyais simple et avisé : ma copine et moi allions réaliser le cours ensemble, il s’inscrivait très bien dans mon horaire et une grande partie des points du trimestre seraient accordés selon des travaux à remettre en équipe. Décidément une formule gagnante…Le résultat : Ma pire note jusqu’à présent. À la fin du cours, je me souviens m’être dit : « Les archives, ce n’est pas pour moi. »

Été 2018
Après avoir terminé ma première année de baccalauréat, j’ai reçu un message d’une professeure, Josée, avec qui j’avais collaboré plus tôt dans la session. Un message inespéré pour une étudiante au premier cycle :« Bonjour Laurence,Veux-tu un assistanat cet été ?Josée »Je ne pouvais pas rater cette chance-là… Quelques rencontres plus tard, je me retrouvais face à face avec mon corpus d’étude : les archives éditoriales. Les démons de ma première session revenaient à la charge, armés de coupures de presse et de catalogues. Avant même d’avoir pleinement pris conscience du projet qu’on me proposait, je disais « oui ». Je ne savais pas encore comment, mais j’allais parvenir à démêler les pièces, à me retrouver dans les dizaines de boîtes des fonds Fides et de L’Hexagone. Je voulais vraiment le poste, je voulais apprendre, je voulais travailler sur un projet à long terme. Une forme d’engagement me tenait, un contrat, et pas seulement au sens littéral, me liait à ce corpus. J’avais hâte d’entreprendre quelque chose de nouveau.
Malgré toutes mes meilleures intentions, au début, c’était long. Je ne voyais pas l’intérêt. Je n’étais ni habile ni efficace. Rien n’avançait, j’avais l’impression de m’enliser dans les dossiers, sous des mètres linéaires de documents textuels. Parfois, ma superviseure venait m’aider, souvent j’étais toute seule, livrée à moi-même, seulement moi, mes boîtes et mes interrogations.

Un matin, après la recension du 180e catalogue, j’étais au bord de la déprime. J’ai pris la pièce suivante dans la boîte, l’ai tournée et retournée plusieurs fois entre mes mains. Je l’ai feuilletée, soupesé, mesurée, analysée… Un catalogue de manuels scolaires. Encore. Comment pouvait-on produire autant de catalogues du même type ? Pourquoi utiliser toujours la même formule fade et inintéressante ? J’ai consigné la pièce dans le fichier, toujours sans réponse.

Les pièces d’archives s’alignaient dans le fichier Excel, les unes après les autres, sans que j’y comprenne quoique ce soit. J’étais une automate, un robot qui prenait des photos et classait des pièces sans jugement. L’heure du diner approchait et ma copine venait de me rejoindre. Elle a sorti un dépliant, tout à fait au hasard, de la boîte. Le dépliant Fides au Canada (croyez-le ou non) est apparu comme un miracle. Enfin quelque chose de différent ! Une carte, des images, des photos…
Josée et moi avons passé des heures à tenter de décrypter le document. Un bijou, vraiment. En parallèle, pour rehausser ma démarche, j’avais commencé la lecture de Fides La grande aventure éditoriale du père Paul-Aimé Martin, biographie du père Martin, cofondateur de Fides, rédigée par Jacques Michon, le co-fondateur du Grélq. Je progressais dans ma lecture et les morceaux de casse-tête commençaient à se positionner. Je décodais les éditions Fides un peu plus à chaque chapitre achevé. Le dépliant me taraudait, je tenais quelque chose, un objet à ma portée. Une pièce dans laquelle je devais m’investir complètement pour en saisir la visée…

Et j’ai fini par comprendre.

Après avoir travaillé sur la rédaction de l’entrée de blogue destiné à cette pièce, je réalisai dans quel projet je m’étais embarquée. Je ne devais pas seulement recenser les pièces, mais surtout en comprendre la portée et l’usage. Faire parler des documents publicitaires qui n’ont pas dit un mot depuis près de 60 ans — trois fois mon âge ! En études littéraires, selon une approche plus contemporaine, la fabrication de sens relève du lecteur, sans quoi le texte n’est qu’un amalgame de mots. Le lecteur doit donc s’atteler à décoder non pas un, mais bien la pluralité des sens qui peuvent se dégager d’un texte. C’est tout aussi vrai pour la production littéraire que paralittéraire et même — croyez-en mon expérience — publicitaire. La fabrication de ces sens relève d’une compréhension à la fois globale et spécifique, comme dans le cas présent : le nombre de catalogues, leurs points communs, les couleurs choisies, les mots, l’ordre de publications, etc. ; les pièces forment un écosystème, une macrostructure publicitaire. Elles servent la maison d’édition, elle-même cachée derrière ce cycle production. Il y a évidemment quelques éléments uniques (comme la fameuse carte), mais avec du recul, chaque composante s’intègre parfaitement dans la mosaïque.

J’apprends énormément lors des rencontres avec Josée et à l’ouverture d’une nouvelle boîte, que ce soit en termes de méthodologie ou d’acquisition de connaissances littéraires. Plus j’avance, plus je cerne efficacement les pièces d’archives. Les liens se multiplient et s’éclaircissent les uns après les autres. Les fonds semblent inépuisables malgré mon corpus restreint… Comme si rien n’était dit, que tout était sujet à une interprétation : la mienne. Je me sens comme Sherlock Holmes.

Cela dit, j’ai maintenant une certitude : à reprendre le cours, j’aurais A+.
Synopsis du cours ELC157 — Aux sources de la création : les archives littéraires
S’initier à la richesse des archives littéraires. Comprendre leur rôle dans la création (génétique des textes, critique privée, mentorat) et la constitution de réseaux. Connaître les différentes approches, pratiques et usages de la lettre, du manuscrit et du carnet d’écrivain. Comprendre les interactions entre les archives, l’œuvre et la vie littéraire. S’initier à la recherche en archives. Faire état des enjeux des archives littéraires à l’ère numérique.»