En 1956, six amis, artistes et écrivains de Montréal, animés du même désir de créer une ébullition autour de la poésie québécoise, se rassemblent et créent les Éditions de l’Hexagone. Cette maison transforme en quelques années le paysage éditorial du Québec, incarnant rapidement la référence en matière de poésie. Les 12 mètres de documents textuels du fonds d’archives, auxquels s’additionnent un corpus imposant de volumes, de photographies, de planches et de différents objets, racontent une évolution fascinante, depuis l’édition artisanale jusqu’à l’édition professionnelle.
L’Hexagone est fondée en 1953 par Gilles Carle, Mathilde Ganzini, Olivier Marchand, Gaston Miron, Louis Portugais et Jean-Claude Rinfret, qui sont bientôt rejoints par Hélène Pilotte, Jean-Guy Pilon, et Alain Horic. Dès 1954, la collection « Les Matinaux », dirigée par Miron et destinée à recevoir les recueils de poésie de la relève, est créée. Au gré des aléas et des difficultés de tous ordres, l’Hexagone sait garder le cap et, même devenue maison d’édition généraliste dans les années 1980, incarne le refuge des jeunes poètes québécois. Pour les fondateurs de l’Hexagone, le rôle de l’éditeur ne se limite pas à la fabrication du livre. En témoignent les nombreux mémoires adressés par la maison aux différents organismes subventionnaires, qui clament haut et fort, pour l’éditeur, la nécessité de susciter des rencontres entre le public et les auteurs, afin de répandre largement la poésie québécoise.
À l’origine, l’Hexagone souhaite publier un recueil comprenant les poèmes de Miron et Marchand, afin d’obtenir une expérience concrète d’édition : il s’agit du recueil Deux sangs. Faute de moyens financiers, le groupe lance une campagne de souscription efficace : en deux mois, 122 bons de commande, accompagnés de la somme de 0,50$, sont retournés à la résidence de Louis Portugais à Montréal. En s’adressant directement aux amateurs de poésie québécoise par le biais de prospectus sollicitant l’achat de recueils par souscription, les éditeurs de l’Hexagone ne soupçonnaient certes pas le capital de sympathie que leur maison naissante allait provoquer. Chez certains lecteurs, l’initiative est saluée avec énormément d’enthousiasme : « C’est un grand plaisir pour moi que de prêter concours à cette équipe d’édition encore naissante, ne fut-ce que par cette modique somme d’argent que vous voudrez bien accepter. […] Mes vœux! Je souhaite ardemment que se répandent parmi notre jeunesse d’expression française une poésie vraiment saine et nationale dénuée de toutes les idéologies meurtrières qui tentent de saper les principes qui ont fait la force de notre petite nation ». Pièces uniques, ces documents d’archives restent l’une des rares traces des interactions concrètes entre un éditeur et ses lecteurs.
Comptant 27 poèmes de Marchand et 17 poèmes de Miron, le premier livre publié par l’Hexagone contient aussi des illustrations de Gilles Carle (futur cinéaste) de Mathilde Ganzini et de Jean-Claude Rinfret. Œuvre collective au caractère naïf, cette publication marque les débuts de la maison d’édition, mais est aussi considérée par les historiens de la littérature comme l’acte de naissance du poète Miron. Né à Sainte-Agathe-des-Monts en 1928 et décédé à Montréal en 1996, Gaston Miron fait des études chez les frères du Sacré-Cœur, puis fréquente l’Université de Montréal, où il suit des cours en sciences sociales. À la fin des années 1950, il se forme à l’École Estienne de Paris, puis revient au Québec où il œuvre au sein de diverses entreprises du monde du livre. Poète engagé et militant, son recueil L’Homme rapaillé, publié aux Presses de l’Université de Montréal en 1970, lui vaut de nombreux prix et fait partie aujourd’hui des classiques de la littérature québécoise.
Autre moyen pour s’assurer une visibilité auprès du lecteur, l’éditeur participe également aux salons et aux foires du livre. Parmi les événements dont témoignent les archives, mentionnons la présence des Éditions de l’Hexagone à la Foire du livre de Sainte-Adèle en 1955. Le nouvel éditeur, désireux de créer un véritable engouement autour de la poésie québécoise, a noté soigneusement les ventes et profits qui y ont été réalisés : sont représentés au kiosque de l’Hexagone non seulement les poètes de la maison, mais aussi des poètes publiés aux Éditions Erta ou à compte d’auteur. Dans son histoire, l’Hexagone a agi comme un véritable lieu de ralliement pour les forces vives de la poésie en émergence.