Entrevue avec Thibault Léonard (Mardaga)

L’entrevue suivante a été réalisée par Amandine Glévarec et est également disponible sur son blogue http://kroniques.com.

Cher Thibault Léonard, pourrions-nous revenir sur l’histoire de Mardaga, sa création et ses membres fondateurs ?

Les éditions Mardaga ont été créées par Pierre Mardaga en 1966, pour être reprises en 2005 par la famille Lhoist, quelques semaines avant le décès de Pierre Mardaga. La personnalité de Pierre Mardaga a fortement marqué la ligne éditoriale de la maison d’édition et lui a permis de rapidement se construire une belle notoriété dans toute la francophonie. Pour de nombreux libraires, Pierre Mardaga a été un véritable visionnaire du monde de l’édition parce qu’il a osé prendre des risques éditoriaux en soutenant des auteurs précurseurs. L’ADN qu’il a transmis à Mardaga est encore celui dans lequel nous nous inscrivons actuellement : les éditions Mardaga ont à cœur de proposer aux lecteurs des ouvrages qui établissent des passerelles entre le monde scientifique, les professionnels, les étudiants, les curieux et les passionnés. Nous nous voyons comme un véritable agitateur de débat et un acteur de changement.

Vous avez repris la maison d’édition en 2017, comment êtes-vous entré en contact avec la famille Lhoist qui en était propriétaire depuis 2005 ?

Certains membres de la famille Lhoist sont très actifs dans l’édition francophone. Nous avons été informés de la volonté de la famille de transmettre le flambeau à de nouveaux actionnaires et nous les avons contactés. Nous sommes très rapidement arrivés à un accord parce que nous partagions la même envie : permettre à un acteur de l’édition francophone belge de rester indépendant. Nous avions la conviction (confirmée à l’heure actuelle) qu’il était possible de constituer un acteur indépendant de taille moyenne à Bruxelles et nous voulions éviter que l’entreprise ne soit intégrée (puis délocalisée) à Paris comme cela s’est trop souvent passé par le passé (Marabout, Éditions De Boeck, etc.).

Quel était votre parcours personnel, et professionnel, à ce moment-là ?

Je suis actif dans l’édition digitale depuis 2010. Mardaga était une formidable opportunité de plonger dans l’édition papier. Il y avait de nombreux défis, dont celui de ramener l’entreprise à l’équilibre (l’entreprise était structurellement déficitaire depuis de nombreuses années lorsque je l’ai reprise).

Auparavant j’avais travaillé chez EMI Music à Londres, en tant que Digital manager.

Est-ce que le fait de reprendre un fonds que l’on n’a pas constitué soi-même représente une difficulté ou s’apparente au contraire à une chasse au trésor plutôt enthousiasmante ?

La force de Mardaga repose à la fois sur la réputation de rigueur dont bénéficie la maison d’édition, mais également sur les choix éditoriaux ambitieux qu’ont réalisés les précédentes équipes éditoriales. Néanmoins, dans tout fonds éditorial, il y a des pépites et des ouvrages qui déforcent la ligne parce qu’ils la rendent hétéroclite.

Quelle est aujourd’hui la ligne éditoriale de Mardaga ?

Les éditions Mardaga se focalisent sur l’édition des sciences humaines et sociales. Grâce au fonds constitué et au travail réalisé par Pierre Mardaga et ses successeurs, nous pouvons nous appuyer sur un riche patrimoine éditorial.

Combien de personnes composent l’équipe ?

10 personnes constituent notre équipe. Sachant que Mardaga ne représente que 15% de notre activité totale.

Vous êtes basés à Bruxelles, votre marché est-il essentiellement belge ou passer les frontières reste-t-il un objectif ?

Notre marché est la francophonie. La Belgique ne représente pas plus de 10% de nos ventes.

Comment êtes-vous distribués ? Faites-vous appel à un diffuseur spécialisé qui cible les librairies et autres points de vente en lien avec vos domaines de prédilection ? 

Nous travaillons avec la Sofédis (Gallimard) pour la diffusion en Belgique et en France. Pour le Canada et la Suisse, nous travaillons avec des partenaires locaux qui connaissent très bien notre catalogue et le défendent activement auprès des acteurs locaux.

Quelles relations entretenez-vous avec les libraires, en Belgique et à l’étranger ? Participez-vous régulièrement à des salons ou à des réunions de professionnels ?

Nous sommes fréquemment en déplacement à l’étranger et en contact avec les libraires par email ou téléphone. Nous participons aux Salons du Livre de Paris, de Genève et de Bruxelles.

Vous proposez vos titres en papier mais également au format numérique, est-ce là une façon de contourner le problème de la distribution ? Quelle part de vos ventes représente aujourd’hui le numérique ?

Nous n’avons aucun souci de distribution physique. Le numérique est une formidable opportunité pour toucher les lecteurs. Tous nos ouvrages sont nativement disponibles en numérique et le digital fait partie de notre ADN puisque notre groupe (Groupe Lemaitre) possède sa propre plateforme de distribution ebook (Primento).

Bénéficiez-vous d’aides publiques, est-ce d’ailleurs fréquent en Belgique, ou arrivez-vous à vous autofinancer totalement ?

Nous avons sollicité l’administration à de nombreuses reprises pour obtenir un soutien, mais sans résultats. Il nous parait évident qu’un soutien plus actif des pouvoirs publics belges aurait eu un impact très positif sur notre développement et des retombées en termes d’emploi. Les seuls soutiens que nous avons obtenus ponctuellement sont ceux du CNL et quelques aides ponctuelles pour la fabrication ebook de nos ouvrages.

Nous sommes dont clairement désavantagés par rapport à des éditeurs canadiens…

Dans ce domaine particulier des sciences humaines, quelle part représente la traduction dans vos publications, comment êtes-vous informé des titres faisant écho à l’étranger ?

Nous sommes en contact direct avec nos homologues étrangers qui nous informent de leurs publications.

D’ailleurs, dans un pays multilingue tel que la Belgique, la question de la traduction dans les différentes langues nationales se pose-t-elle ou s’impose-t-elle ?

Nous ne publions que des ouvrages en français. La notion de marché belge de l’édition ne nous intéresse pas parce qu’il est insignifiant (moins de 10% de nos ventes). Notre souhait est de toucher un maximum de lecteurs francophones et de les satisfaire… où qu’ils soient dans le monde.

Vous êtes reconnus pour vos ouvrages spécialisés dans la santé et dans la psychologie. À l’heure où le développement personnel connaît un certain succès, votre public a-t-il évolué ces dernières années ?

Il n’y a pas eu d’évolution fondamentale chez nous. Nous restons fidèles à notre ADN. Le développement personnel fait partie intégrante de la psychologie. Nous sommes fiers de publier des ouvrages rigoureux et nous rejetons systématiquement les ouvrages de « gourou » qui ne reposent sur aucune base scientifique, comme les ouvrages de psychanalyse.

Dans un secteur qui semble particulièrement concurrentiel, et qui surtout connaît des évolutions rapides, arrivez-vous à valoriser votre fonds ou au contraire misez-vous sur les nouveautés ?

Notre stratégie repose sur une politique de fonds couplée à la publication de nouveautés ambitieuses.

Combien de titres faites-vous paraître chaque année ? Travaillez-vous régulièrement avec de nouveaux auteurs ou préférez-vous au contraire entretenir des relations sur le long terme avec eux ?

Notre stratégie repose sur la publication de nos auteurs « habitués » ainsi que sur la publication de nouveaux auteurs. Nos auteurs apprécient notre maison pour plusieurs raisons :

  • La rigueur scientifique et notre côté précurseur,
  • la réputation de nos auteurs (venus des quatre coins du monde),
  • notre approche humaine et le dynamisme de notre équipe,
  • la qualité de notre diffusion, tant numérique que papier,
  • notre expertise mixte dans l’édition de livres numériques et papier.

Quels sont vos titres incontournables ?

Je n’aime pas cette notion de « livre incontournable ». Certains livres sont incontournables parce qu’ils sont des ouvrages de référence dans leur domaine, je pense notamment à notre ouvrage sur le WISC-V de Jacques Grégoire ou à nos ouvrages sur l’autisme (Mottron) ou l’homosexualité (Balthazar).

D’autres ouvrages plus récents ont également marqué leur public par leur côté engagé : La Gestion de Soi (Van Rillaer) ou encore « Freud et Lacan, des charlatans » (Van Rilaler). Je pense également à nos ouvrages sur le Haut Potentiel (Brasseur et Cuche), sur le Racisme (Leyens), sur les neurosciences (Houdé) ou encore sur le Bitcoin (Quoistiaux).

Est-ce facile de communiquer par voie de presse sur vos livres, les journalistes sont-ils attentifs à vos nouveautés ?

Oui, ce n’est pas vraiment un souci. Nous investissons également beaucoup dans les réseaux sociaux et le marketing en ligne.

Quelles voies d’amélioration ou de développement envisagez-vous pour les années à venir ?

Notre volonté est de poursuivre et d’accélérer le développement de nos collections de sciences humaines et sociales : Psychologie, santé et développement personnel, Gestion, Business et management.

Récemment nous avons revu complètement notre stratégie d’impression afin de réduire au maximum les invendus et l’impact environnemental de nos ouvrages.

Un dernier mot sur vos nouveautés à paraître ?

Restez aux aguets ! Nous allons continuer à vous surprendre dans les prochains mois !


  • Intervieweur(s) : Amandine Glévarec
  • Date de l'entrevue : janvier 2020
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