Entrevue avec François Delporte (Rocambole)

L’entrevue suivante a été réalisée par Amandine Glévarec et est également disponible sur son blogue http://kroniques.com.

Amandine Glévarec — Bonjour François, pourriez-vous vous présenter ?

François Delporte — J’ai 29 ans et j’ai un parcours somme toute assez classique : DUT GEA, école de commerce de Montpellier puis l’emlyon, je me suis ensuite spécialisé en finance d’entreprise. J’ai d’abord travaillé en fonds d’investissement Impact social, puis je suis passé de l’autre côté de la barrière en devenant responsable financier d’une start-up dans laquelle on voulait investir. Je me suis rendu compte qu’avec le cash, on ne pouvait pas régler tous les problèmes, j’ai vu l’envers du décor. Alors je suis parti 18 mois au Benelux faire de la tech chez IBM, dans le Graduate Program, puis j’ai définitivement cédé aux sirènes de l’entrepreneuriat.  

A. G. — De quelle manière, concrètement ?

F. D. — J’ai rencontré Camille en 2018. Je venais d’entrer chez IBM, elle travaillait dans l’édition numérique et la littérature, et venait de développer une interface pour aider les enfants atteints de troubles de la lecture. Cette année-là, une étude du CNL a révélé que 69 % des Français aimeraient lire davantage. Ce chiffre a en quelque sorte scellé notre destin. Elle connaissait bien ce domaine et, à mon niveau, j’avais très envie d’entreprendre. 

On a construit notre vision en partant du constat que le streaming avait révolutionné la vidéo, la musique, et qu’il y avait un concept à inventer par rapport à la lecture, non pas en transformant le support physique en support numérique, comme la liseuse a essayé de le faire, mais en adaptant le contenu au contenant. Notre objectif était donc de créer un contenu digital native. On a décidé de s’appuyer sur le format série, qui est tendance depuis quelques années car il permet de fragmenter une histoire, et de l’intégrer dans l’usage numérique (smartphone, tablette, ordinateur…) avec des épisodes courts et percutants. On s’est donc calés sur des épisodes de 5 mn. C’était le début d’une aventure un peu folle : on n’avait pas encore déposé les statuts qu’on était déjà en conflit avec les avocats de Rockstars Games, on cherchait à faire une première levée de fonds qu’on nous annonçait une pandémie mondiale et, au moment où on décaissait l’argent de la levée de fonds, Google a banni une de nos séries qui parlait d’une pandémie… C’était un peu rocambolesque !

À l’heure où je vous parle, on a « craqué » l’usage. En effet, selon notre dernière étude, 2 utilisateurs sur 3 affirment lire plus depuis qu’ils sont chez Rocambole. Il y a un an, on recensait 500 épisodes lus par semaine, on en dénombre aujourd’hui 100 000 chaque mois. Le concept est en train d’exploser, puisqu’on tourne autour de 20 % de croissance mensuelle. 75% de nos utilisateurs assurent avoir recommandé Rocambole à un proche, on nous consacre beaucoup d’articles…  Ce succès s’explique avant tout par le fait qu’on a su se reposer sur deux piliers : le format série, qui permet de s’adapter au numérique sans promettre à qui que ce soit de lire l’intégralité du Seigneur des Anneaux sur smartphone, et l’innovation éditoriale. Nous avons créé notre propre Fabrique avec 35 auteurs et scénaristes qui écrivent pour nous, sur mesure et sur demande, c’est un peu un mix entre les best practices d’Hollywood pour la dramaturgie, et l’inspiration asiatique avec les mangas japonais. En combinant ces atouts, on a obtenu les résultats qu’on connaît, qui nous amènent aujourd’hui à nous lancer dans un second tour de financement. C’est le moment d’accélérer car on a un excellent timing market. On a deux concurrents qui sont en plein développement : un américain, qui a levé 60 millions il y a 6 mois et un autre, asiatique, qui est une filiale d’Alibaba. À l’heure actuelle, on n’en est plus à se demander s’il y aura un géant de la lecture en streaming, comme Spotify ou Netflix, mais s’il sera américain, asiatique ou européen. On est très en avance et très innovants, on va très vite et on collabore avec de nombreux talents, ce qui nous conduit à penser qu’on va pouvoir progresser rapidement. Le divertissement est un marché spécifique et c’est parce qu’on propose un contenu alléchant que les gens adhèrent. La demande est naturelle, puisque l’homme a besoin de se détendre chaque jour, mais il va chercher à le faire avec de la matière de qualité. Pour l’anecdote, on vient de sortir notre première série qui parle de politique et elle est préfacée par Emmanuelle Macron. On a un partenariat en cours avec le chef étoilé Bruno Ménard, Jacques Expert, un auteur de thrillers, la romancière Laure Manel, etc. 

A. G. — On sait que les Français ne sont pas de grands adeptes de la lecture numérique et, avec Rocambole, on est sur du support smartphone… L’étude que vous avez menée a-t-elle dessiné un profil de vos utilisateurs ?

F. D. — Au grand dam de mon responsable marketing, on touche tout le monde, de la jeune lycéenne aux résidents des Ephad. Comme pour toute entreprise, il y a cependant un cœur de cible et, en l’occurrence, ce sont les femmes âgées de 25 à 45 ans qui répondent le mieux. On parle de personnes qui lisent en temps normal un minimum de cinq livres par an. On leur a posé la question suivante : si Rocambole disparaissait, seriez-vous très déçue, un peu déçue, pas du tout déçue ? 50 % d’entre elles ont répondu « très déçue », ce qui est impressionnant pour une petite entreprise qui n’a que 270 jours d’existence. 

A. G. — Vous vous êtes lancés pendant la crise sanitaire, qui nous a privés de loisirs et nous a poussés à utiliser de plus en plus nos écrans. D’un côté ça va dans le sens de ce que vous proposez, mais on peut aussi imaginer que ça puisse être dissuasif, puisqu’on y passe déjà beaucoup de temps…

F. D. — C’est une bonne analyse. Pendant le premier confinement, on a connu une très belle croissance, comme beaucoup de sujets numériques je pense. Les gens sont revenus aux activités essentielles, ils se sont remis à lire, faire du pain et courir, pour faire simple. En revanche, sur le long terme, on continue notre progression, et on ne remarque pas spécialement de comportements d’usage anormalement hauts ou bas d’un coup, parce qu’il y a à mon sens un effet compensatoire. C’est-à-dire que nous perdons certainement les gens qui ne prennent plus le métro ou ceux qui en ont marre des écrans, mais à l’inverse on récupère ceux qui ont plus de temps pour eux, qui n’ont pas forcément un livre sous la main, qui ont envie d’essayer autre chose… L’un dans l’autre, on est plutôt résilients par rapport à la Covid, par contre aujourd’hui ça se stabilise effectivement.

A. G. — Vous avez noté que vos utilisateurs ont tendance à lire plus, ce qui peut aussi signifier qu’ils se rendent plus en librairie. On est obligés de faire un parallèle, puisque les librairies étaient fermées pendant le premier confinement avant de rouvrir en click and collect puis normalement. Considérez-vous que vous êtes en concurrence avec le papier ou que les deux supports peuvent communiquer ? Avez-vous d’ores et déjà envisagé certaines perspectives ?

F. D. — Oui, on a fait plus que l’envisager. On est une entreprise culturelle, puisqu’on produit du contenu pour se divertir, et on apporte depuis le début un soutien indéfectible à cette industrie dans laquelle on évolue. On a eu la chance de ne pas être impactés par la Covid, mais ç’aurait pu être l’inverse. On part du principe qu’on vend quelque chose que personne ne vend et la notion de concurrence intervient nécessairement à un moment donné. Le vélo est-il le concurrent de la voiture ? Une série, c’est une heure de lecture au maximum, c’est une création originale exclusive, uniquement en numérique, je ne crois pas qu’on fasse de l’ombre aux libraires et je suis même persuadé du contraire. Quand on voit que 2 personnes sur 3 lisent plus grâce à nous, ça signifie qu’on les a remis sur le chemin de la lecture, alors qu’ils s’en étaient éloignés. La question est de savoir comment les libraires nous regardent, s’ils se demandent si ces jeunes vont réussir. On a de plus en plus de rendez-vous avec les maisons d’édition et une de nos séries va faire l’objet d’une adaptation papier chez Hachette. On a discuté avec Michel Lafon pour mettre en place un partenariat avec Laure Manel, une de leurs grandes autrices, pour tenter de créer des spin offs de certains livres. Elle pourra réutiliser son personnage principal dans une série, ou l’univers. C’est là où ça devient passionnant puisqu’on rajoute de la profondeur. Un autre exemple, nous écrivons le making-of du film Adieu les cons d’Albert Dupontel qui a raflé tous les prix lors de la dernière cérémonie des César. Ils nous ont choisis pour raconter l’aventure de l’idée aux César. On a eu un entretien avec le réalisateur, on travaille avec le chef mécanicien et la cheffe décoratrice. Dans les faits, on vient un peu se placer en satellite autour de ces maisons d’édition et des acteurs de l’audiovisuel pour enrichir ce qui existe déjà. De leur côté, avant de prendre le risque de miser sur un auteur, ils savent qu’ils peuvent le tester via Rocambole. D’une manière générale, ça se passe très bien avec les éditeurs et de très belles passerelles se créent, dont certaines sont même en train de se décliner sur l’audiovisuel. 

A. G. — Vous n’avez pas trop de contacts avec les libraires, alors qu’on pourrait aussi imaginer des rencontres complémentaires ?

F. D. — Ce serait intéressant de creuser, effectivement. On n’est là que depuis un an, un an et demi, et le « physique » n’existe pas chez nous, on n’a même pas de bureaux, on vit dans dix villes différentes… Mais on pourrait envisager d’inviter un de nos auteurs en librairie, imprimer une dizaine de séries, échanger, expliquer comment on écrit une série… Pour l’instant, on fonctionne à 100 % en distanciel et on n’a pas été réellement amenés à rencontrer des libraires. 

A. G. — Les éditeurs sont très attentifs à l’autopublication numérique, à ce qui marche ou pas. Ils sont assaillis de manuscrits et Gallimard a justement précisé dernièrement qu’ils ne voulaient plus en recevoir. Pourriez servir de passerelle entre les auteurs et les maisons d’édition ? 

F. D. — Absolument. 

A. G. — Comment filtrez-vous les auteurs qui viennent vers vous ?

F. D. — Il faut savoir qu’on nous adresse des centaines de candidatures tous les mois. C’est moins pénible à traiter, parce qu’on a un formatage précis et on sait exactement ce qu’on veut. Un manuscrit, c’est 300 pages. Pour nous, c’est 3 pages Word et les synopsis de tous les épisodes de la saison 1. Ça veut dire qu’en 5 minutes, vous vous faites une idée de la plume et de l’arc narratif. Une candidature est étudiée en un quart d’heure. On en reçoit des centaines et on fait une réponse personnalisée à chacun, ça prend quand même un peu de temps. On retient 2 à 3 % des candidats, la sélection est forte et on mise évidemment sur la qualité. Beaucoup d’auteurs concrétisent leur rêve de vivre de leur plume en gagnant de l’argent régulièrement. De notre côté, on est moins dépendants des candidatures, puisqu’on a notre propre organe de production. 

A. G. — Vous dites que le séquençage est très clair, pouvez-vous me rappeler le nombre d’épisodes ?

F. D. — Pour une série, on libère toute la saison 1 d’un coup, ce qui représente entre 8 et 10 épisodes de 5 minutes de lecture, à savoir 5 pages Word environ. On fait des tests sur certaines séries en proposant un épisode par jour, ça semble plaire aux gens qui le lisent et attendent le lendemain pour connaître la suite. Un arc narratif, c’est grosso modo une heure de lecture. Un auteur va gagner entre 500 et 700 euros d’à-valoir pour une série (plus ou moins à 50 pages Word), ce qui est plutôt bien payé dans le milieu éditorial. 

A. G. — C’est un pourcentage sur les ventes ?

F. D. — C’est une avance, à laquelle on ajoute 15 % de droits d’auteur, qui viennent en régularisation de l’à-valoir. On est dans le haut de la fourchette et l’objectif est d’augmenter les revenus petit à petit et de faire en sorte que les auteurs de la Fabrique en vivent plus que correctement. L’idéal, bien sûr, serait de pouvoir disposer de notre villa Médicis ou d’une île en Bretagne où on écrirait nos thrillers…

A. G. — Combien coûte l’abonnement à Rocambole ?

F. D. — C’est 40 euros l’année, avec lecture illimitée. Aujourd’hui, Rocambole, c’est 200 séries originales exclusives et on en sort 2 à 3 nouvelles chaque semaine. 

A. G. — Ce qui fonctionne bien, c’est le suspens…

F. D. — Exactement. Ce qui marche, c’est l’émotion, en permanence. 

A. G. — On s’imagine assez mal lire Voyage au bout de la nuit en épisodes de 5 minutes. Partez-vous sur des textes moins littéraires mais plus axés sur le rythme ?

F. D. — Quand les auteurs nous envoient un livre découpé, on voit tout de suite s’ils sont dans les clous. Ce n’est pas le même arc narratif, ce n’est pas la même façon d’écrire, mais ça ne doit pas influer sur la qualité. L’idée, c’est qu’on ne peut pas se permettre d’avoir un épisode entier de description, et on doit respecter des éléments clés qui sont différents de ceux qu’on trouve dans un livre. Chez nous, un épisode doit se terminer par un cliffhanger. Il n’est pas possible de proposer une série comme Game of Thrones, avec 36 personnages, parce qu’on ne va pas s’y retrouver, il nous faut des récits plus impactants, plus directs. On vient de sortir Sorcières : meurtres au couvent, avec Élisabeth Reynaud, une grande autrice de romans historiques. Le style est magnifique, mais c’est assez simple, avec 2 ou 3 personnages, une enquête… On est obligés de respecter des critères stricts et le format impose d’écrire en 7000 signes, mais on ne fait aucune concession sur la qualité.  

A. G. — Il faut bien sûr que le rythme soit haletant et qu’on ait envie de lire la suite… Dans cette configuration, c’est difficile d’intégrer de la poésie, par exemple.

F. D. — Pour l’anecdote, on a publié, pour le bicentenaire de Baudelaire, un poème des Fleurs du mal par épisode, et ça a très bien marché. Je nuance néanmoins car je pense qu’il y a eu un effet de curiosité et que des gens se sont dit qu’ils aimeraient bien lire Baudelaire au moins une fois dans leur vie. Je pense que ce n’est pas vraiment l’endroit, en réalité. À partir du moment où, à la fin d’un épisode, on n’a pas forcément envie de lire le suivant, c’est que ce n’est pas le bon créneau. En revanche, on a sorti Arsène Lupin, une œuvre à la base structurée en nouvelles, et il s’avère que ça cadre parfaitement. 

A. G. — Quels genres ont le plus de succès ? Les thrillers, les romans historiques, les romances, le fantastique ?

F. D. — Nos nouvelles séries en direct, avec un épisode par jour, font un carton. La romance plaît beaucoup également, ce qui n’est pas une surprise, puisque 70 % de nos adhérents sont des femmes. Le biopic féminin marche aussi très bien, sachant qu’on peut réaliser des portraits historiques de personnages méconnus comme des portraits plus contemporains. Comme on a envie de casser un peu plus les codes, on va sortir un catalogue qui sera découpé non plus en genres littéraires, mais en thématiques, parce qu’on s’est aperçus que c’est ce qui touche le plus les lecteurs. Les idées ne manquent pas : les relations frère-sœur, l’enfant abandonné… Qu’importe le genre, au bout du compte, c’est le sujet qui va les saisir, générer des émotions up and down… On va créer des collections : culture geek, sport, pour ceux qui aiment le dépassement de soi, parcours de femmes, amour… On aura une collection société, dans laquelle sera intégrée la nouvelle série politique dont je vous ai parlé. Je pense que, de cette manière, on aura des tendances plus marquées, justement parce qu’on isole des thématiques. 

A. G. — Comme vous publiez beaucoup, il va falloir faire en sorte de s’y retrouver dans le catalogue…

F. D. — L’objectif est de demander aux gens quels thèmes ou problématiques les intéressent. On peut partir par exemple sur une collection sur la gastronomie, l’idée étant toujours de proposer ce qui n’existe pas ailleurs. Bruno Ménard va produire une série, on va sortir une fiction qui s’intitule Amour et sauce au poivre, on a envie de parler aux lecteurs d’un sujet qui les passionne et qu’ils ont envie de partager avec des proches. Encore une fois, le genre n’a guère d’importance. De cette façon, on renforce la valeur perçue et cet aspect « communauté ». 

A. G. — Vous travaillez sur l’immédiateté, avec une récurrence journalière. Il faut aussi que ce que vous avez publié précédemment continue d’être lu et de vous rapporter un peu d’argent…

F. D. — Bien sûr, et c’est aussi l’avantage d’une plateforme de streaming. En librairie, un livre qui n’a pas décollé au bout de trois ou quatre mois sera remplacé, c’est mécanique, alors que chez nous, le contenu vit bien plus longtemps, même si on peut être amenés à revoir des présentations, le positionnement d’une série, etc. 

A. G. — C’est intéressant aussi pour les auteurs, qui n’ont pas le couteau sous la gorge. Quand on est publié par une maison d’édition, on ne connaît pas l’espérance de vie de son livre…

F. D. — Oui, et ils sont payés longtemps après, souvent. On essaye de proposer une expérience différente, on les rémunère tous les trois mois, on leur envoie des petits mots personnalisés, ils ont connaissance des chiffres. Il y a un accompagnement des auteurs, on a envie de produire les meilleurs récits et de surfer sur cette réactivité. Demain, on pourrait très bien envisager de faire une série en direct, chaque jour, dans les coulisses d’une coupe du monde de foot. C’est excitant d’apporter l’histoire et de créer une passerelle entre les émotions et la réalité.

A. G. — Comment avez-vous trouvé vos premiers auteurs ? 

F. D. — On a lancé un appel à candidatures sur Twitter, en posant une question toute bête : qui a envie de gagner sa vie en écrivant ? Qui peut faire ce genre de propositions, à l’heure actuelle ? Un livre, il faut un an et demi pour l’écrire et le publier, et vous êtes payé encore un an après. Si tout se passe bien, vous aurez touché 10 000 euros en deux ans et demi. Chez nous, ils peuvent espérer gagner entre 500 et 1500 euros par mois, s’ils sont retenus, évidemment. 

A. G. — Oui, c’est une tout autre vision. Si on considère votre cursus, vous avez pris un virage à 180 degrés. Le monde du livre vous était totalement inconnu ?

F. D. — Effectivement. Camille le connaissait très bien et mon associé, Julien Simon, le directeur éditorial, est un peu notre Gandalf de l’édition. Il a commencé comme scénariste, a été auteur, libraire, entrepreneur dans l’édition numérique. Il est le garant de notre ligne éditoriale et c’est lui qui a structuré la Fabrique, tandis que Camille s’est spécialisée dans l’expérience utilisateur. Avec tous ces atouts, on essaye de faire en sorte de satisfaire au maximum les gens. 

A. G. — Pourrait-on imaginer des livres qui seraient un peu plus que des livres, en y insérant des images, des vidéos, de la BD ?

F. D. — Oui, mais on ne s’aventurera pas sur ce terrain-là, parce qu’il y a déjà des acteurs très talentueux sur le sujet. En revanche, quand on aura un peu plus de moyens, on essaiera d’ajouter une illustration par épisode, pour aider le lecteur à se projeter et sans pour autant lui imposer quoi que ce soit. On va créer d’ici peu un marchepied, une petite vidéo d’une minute de l’auteur, qui explique pourquoi il a voulu écrire cette histoire, l’idée étant de décupler l’envie du lecteur de la lire. Dans certains cas, on pourrait aussi proposer une adaptation audio. On ne le fera pas pour toutes car, très souvent, le lecteur n’est pas fan de l’audiolecture, qui va moins vite et contraint un peu l’imaginaire. Des domaines comme le sport, la non-fiction, pour lesquels la voix peut amener un supplément d’émotion, s’y prêteraient sans doute davantage. On tentera le coup avec les succès, quand on estimera que ça peut apporter une valeur ajoutée. Notre ambition est de nous positionner très rapidement à l’échelle européenne et de développer des nouvelles langues, non pas en faisant de la traduction, mais en produisant directement en espagnol, en allemand, etc.

A. G. — C’est un vaste programme !

F. D. — Il faut bien viser Mars pour aller sur la lune ! Ma devise pourrait être : impossible n’est pas Rocambole. On s’en est sortis avec Google, Rockstar Games, alors… 

A. G. — Justement, c’est quoi cette histoire de Google ?

F. D. — En février 2020, on a sorti une série, qui était une pure fiction, sur une pandémie qui obligeait tout le monde à rester à la maison. L’été dernier, on a reçu un mail nous informant que Google avait retiré notre application. Les abonnements étaient bloqués, les gens ne pouvaient plus se connecter. On était en pleine levée de fonds, il nous restait 1000 euros sur le compte en banque et ils étaient littéralement en train de nous mettre KO, alors qu’on n’avait pas été prévenus de quoi que ce soit. L’État s’est renseigné, on a mobilisé toute la communauté, nos investisseurs et, 48 h plus tard, Google avait remis notre plateforme en ligne, mais sans un mot d’excuse. Donald Trump avait exigé que tout qui touchait de près ou de loin à la Covid soit enlevé. Un algorithme a fait le nettoyage, sans aucune vérification préalable. Dans un cas comme celui-ci, la liberté d’expression est sérieusement mise à mal. 

A. G. — On parle quand même d’une censure par ordinateur, la science-fiction devient réalité.

F. D. Oui, on nous envoie un mail, bonjour, merci, au revoir ! Si on voulait régler le problème, il fallait écrire au gouvernement des États-Unis, c’est du grand n’importe quoi…

A. G. — Le soutien juridique, ce n’est pas la première chose à laquelle on pense, dans ces cas-là…

F. D. — Non, et puis, pour attaquer Google, il faut se lever de bonne heure… 

A. G. — 40 euros l’abonnement annuel, ça ne paraît pas très cher, par rapport à ce que vous proposez comme contenu.

F. D. — Tout à fait. C’est encore la mise en route, on fait aussi en sorte que les gens nous pardonnent des petits bugs parfois, parce que tout n’est pas parfait. On augmentera probablement dès l’année prochaine. 

A. G. — On a souvent l’impression que tout est gratuit sur internet, la difficulté était peut-être également de faire passer le message qu’il y aurait un abonnement à payer.

F. D. — Exactement, et ce message passe plutôt bien, même si les gens ont longtemps été habitués à la gratuité. L’idée, c’est qu’ils acceptent de payer parce qu’on leur offre de la qualité et parce qu’ils savent qu’ils n’auront pas besoin de farfouiller pendant des heures pour trouver leur bonheur. Notre rôle est de développer des algorithmes de recommandations et de proposer les bonnes histoires aux bonnes personnes. On aurait pu créer une plateforme à la Wattpad, avec un million d’histoires par jour, où chacun se débrouille pour dénicher ce qui lui convient, mais ce n’est pas la ligne qu’on veut suivre. Notre crédo, c’est la qualité, c’est pour cette raison que 40 euros me semble aujourd’hui être un tarif très raisonnable, qui correspond à peu de choses près au prix de deux livres d’édition normale.

A. G. — Oui, d’autant plus que la ligne éditoriale est tenue et qu’il y a un éditeur derrière.

F. D. — Effectivement, on a 70 collaborations en cours, on discute avec de très grands noms. On sera obligés d’augmenter à terme, en passant dans un premier temps à 50 euros, puis à 60 euros d’ici 3 ans. 

A. G. — Vous arrivez à faire votre bascule ?

F. D. — On n’y est pas encore, c’est pour ça qu’on lève des fonds. On dépense énormément d’argent en création de contenus, en tech sur la plateforme, et il ne nous en reste pas beaucoup pour faire de l’acquisition. Notre croissance, pour l’instant, est essentiellement organique et il est temps maintenant de passer la vitesse supérieure pour atteindre l’équilibre. On a l’avantage d’avoir une création de contenus qui ne nous revient pas à trop cher, même si on se positionne en premium par rapport au marché. Produire une série va nous coûter 800 euros, alors qu’il faut plutôt compter sur une dépense d’un million d’euros dans l’audiovisuel. On a des EconomiX qui sont atteignables. 

A. G. — Est-il envisageable de trouver des sources de revenus qui soient complémentaires ?

F. D. — Absolument, certaines sociétés nous payent d’ailleurs pour écrire une histoire. L’Oréal, par exemple, nous a demandé d’écrire sur la création de l’entreprise, parce que plus personne ne se souvient comment ça s’est passé. Meetic nous a commandé une fiction pour démocratiser le dating des plus de 50 ans… Il existe divers moyens de gagner de l’argent, à partir du moment où on sait créer du contenu et le distribuer, ce qui est assez unique dans le divertissement. 

A. G. — Si on commence à répondre à des commandes de grosses entreprises, on ne craint pas de perdre son âme éditoriale ?

F. D. — Pour nous, la condition sine qua non, c’est qu’on raconte une jolie histoire, ce qui signifie qu’il ne suffit pas d’avoir de l’argent pour s’offrir une belle série chez Rocambole. L’Oréal, c’est quand même le leader mondial de la cosmétique et de la beauté, une marque qui a traversé deux guerres… Meetic, c’est autre chose, c’est une fiction, c’est plus rigolo. On est en pourparlers avec Porsche pour couvrir les Vingt-quatre heures du Mans, c’est là encore une autre approche, car on est dans la non-fiction. Il y aura un épisode par jour. Alors oui, si on a une belle histoire, on est d’accord pour facturer.

A. G. — Et si on en profitait pour évoquer cette fameuse préface d’Emmanuel Macron ?

F. D. — C’est là encore assez rocambolesque… Fin 2020, j’ai rencontré Mickaël Nogal et on a produit une série sur son engagement citoyen, qui expliquait comment on devient député à 27 ans, comment on porte des idées à une époque où tout le monde se fout de la politique… Il y a quelques semaines, il m’annonce qu’il en a parlé au président, qui a adoré l’idée et trouvé très intéressant qu’on parle de l’engagement, parce que c’est aussi un bon moyen de convaincre des jeunes de s’investir. Il m’a informé que M. Macron acceptait de faire une préface. Il présente cette série comme une immersion dans les coulisses de la république. 

A. G. — Vous n’avez pas peur d’être récupérés ?

F. D. — C’est le gros enjeu. On a franchi le pas en touchant à la politique, on doit désormais en produire plein d’autres. On a eu une opportunité, on l’a saisie, il faut maintenant qu’on travaille avec le maire d’un village, un dirigeant d’ONG, le pilote du navire Greenpeace… On va mettre en place une collection engagement citoyen. Dans un an auront lieu les élections présidentielles, pourquoi ne pas envisager de proposer à chaque candidat un épisode sur Rocambole pour parler de la gestion du CO2, par exemple ? En tant qu’entreprise, cette préface est une sorte de reconnaissance de notre travail, mais elle a fait jaser. Le milieu de l’édition et des auteurs, qui n’a pas forcément une affection démesurée pour le pouvoir en place, considérait plutôt qu’il ne fallait surtout pas mettre en avant les hommes politiques, parce qu’ils ont déjà un temps de parole trop important. Pour eux, c’était clairement de la récupération. Je pense que, quand on n’en parle pas, on fait aussi leur jeu, j’estime qu’il ne faut pas en avoir peur. C’est un sujet qui va peut-être susciter des vocations… Personnellement, j’espère que c’est le début d’une multitude de collaborations. On discute actuellement avec Benoit Hamon et quelques autres. Ce qu’on compte leur demander, c’est simplement d’expliquer aux gens comment ça se passe. On n’ignore pas, bien entendu, qu’on va nous tomber dessus d’une manière ou d’une autre, parce que ça ne plaira pas à tout le monde. 

A. G. —  Je crois comprendre que la non-fiction, le rapport au réel, vous intéresse aussi beaucoup ?

F. D. — Oui. Au début, on n’en faisait pas, mais on s’est rendu compte qu’on vit dans une époque où certains ont besoin de repères, d’inspiration. Un jeune diplômé qui débarque, par exemple, est parfois un peu perdu. Je pense que ça marche plutôt bien avec les jeunes ou des entrepreneurs, on va d’ailleurs faire une série avec le bras droit de Xavier Niel. C’est un concept intéressant, mais qui représente à peine 20 % de notre catalogue. 

A. G. — On s’approche un peu du journalisme, non ?

F. D. — C’est vrai, sauf qu’on n’a pas les moyens de commander une enquête journalistique, de vérifier avec des sources. Demain, avec un plus gros budget, j’aimerais bien faire une collection investigation et permettre à des journalistes d’aller chercher plus loin. À l’heure actuelle, on fait de la non-fiction, parce qu’on a accès à la source, on ne se retrouve pas dans des situations complexes qui réclament qu’on fasse des vérifications, pour lesquelles on s’expose, etc. Ce serait en effet intéressant d’offrir aux journalistes des sujets qui ne sont pas traités dans les rédactions et de les sublimer. 

A. G. — Vous répondez finalement aux demandes qui aujourd’hui sont faites aux libraires, d’une part des loisirs, d’autre part des réponses sur une société qui est en train de nous échapper…

F. D. — Oui. On serait ravis, par exemple, de faire signer Marc Lévy mais, même si c’était le cas, on ne ferait pas lire pour autant à des jeunes de 17 ans. En revanche, si vous proposez l’histoire d’un influenceur qui raconte une fiction et qui a cette communauté, on va poser un label de qualité contraint, mais on va parler à ces jeunes. On peut dire ce qu’on veut, mais si on n’écrit que des essais pour l’Académie française, on n’incitera pas beaucoup plus de gens à lire. En fait, il faut vraiment trouver le moyen de détecter des thèmes qui « matchent ». On a fait une série en direct, une espèce de remake d’Agatha Christie qui s’appelait Buzz mortel et qui relate l’aventure de dix influenceurs qui vont mourir un par un. À la fin de chaque épisode, chaque lecteur pouvait remplir un questionnaire, donner son sentiment et essayer de deviner le nom du coupable. Il y avait une PS5 à gagner pour un des candidats qui avaient la bonne réponse. On tente d’instaurer une interactivité pour encourager notre public à lire 5 minutes tous les jours, parce que notre mission se situe à ce niveau-là. S’il faut jeter un pavé dans la mare en lançant une série préfacée par Macron, on le fait, ça fera parler de nous, ça fera lire des gens et on aura réussi. 

A. G. — Ce qui manque à la chaîne du livre, qui est si complexe et si longue, c’est sans doute cette interactivité directe entre l’auteur et le lecteur. C’est précieux aussi pour l’auteur…

F. D. — Exactement. Pour la série que j’évoquais à l’instant, on a reçu 1500 réponses, même si seulement trois étaient la bonne. Pour notre dernière fiction, qui se passe dans les DOM-TOM et qui parle d’un trésor qui n’a jamais été retrouvé, le trésor de la Buse, on fournit un indice tous les deux épisodes qui peut permettre aux lecteurs de gagner 500 euros sur internet. En fait, on profite du numérique pour donner aux gens la possibilité d’étendre leur évasion. 

A. G. — Je constate que vous avez un public qui se reconnaît dans vos contenus. La difficulté sera peut-être de renouveler les idées pour conserver vos adeptes…

F. D. — Oui, mais on fait confiance à notre imagination. 

A. G. — Vous semblez avoir beaucoup de projets et de matière. Il va falloir classer tout ça… 

F. D. — Il faut prioriser, parce qu’on n’a pas les ressources pour tout faire mais, bien souvent, les bonnes idées ne coûtent pas plus cher. On illustre par exemple nos séries avec des animations de l’image de 2 secondes. On peut faire bouger les nuages, la lune… Les gens adorent et ça ne génère aucune dépense. 

A. G. — Vous avez renoncé au salariat pour l’autoentreprise ?

F. D. — J’ai renoncé à pas mal de choses, dont la Mercedes de fonction ! Quand j’ai dit à mon père que je quittais IBM pour monter ma boîte, il était dubitatif… Se lancer dans ce domaine était un sacré pari, qui est d’ailleurs loin d’être gagné, même si le démarrage est très positif. Pour l’instant, personne n’a de salaire, on vit tous avec 800 euros par mois. C’est beaucoup de risques, de sacrifices, de pression aussi, mais je pense qu’avec la passion, on déplace des montagnes et on y arrive. 

A. G. — Quelle était réellement l’envie de départ, développer un concept qui n’existait pas, construire un outil qui permette de sonder la société d’aujourd’hui ?

F. D.  — Quand on fonde sa première entreprise, je suis persuadé qu’on a toujours envie d’inventer quelque chose, parfois de manière inconsciente. Avec le recul, si je devais recommencer, je choisirais peut-être un secteur bien établi, un business existant, et j’essaierais simplement de faire un peu mieux, un peu plus vite que mon concurrent et d’en vivre correctement. Nous, depuis le début, on invente tout ce qu’on propose et, en plus, on produit notre contenu, on le distribue. C’était sans doute un fantasme de créer cet usage et c’est en tout cas un gros challenge, mais je crois qu’on est assez bien partis.

A. G. — Le numérique présente cet avantage qu’il vous donne immédiatement le ressenti du public.

F. D. — Oui, on peut tout de suite corriger, par rapport à ce qui plaît, ce qui ne plaît pas, et adapter notre bible éditoriale. 

A. G. – Ça a beaucoup évolué, depuis le lancement ?

F. D. — Oui, quand même. On s’est aperçus que le nombre de personnages était une donnée clé, que l’épisode 1 est crucial et que si un lecteur est toujours là pour l’épisode 3, vous allez le garder jusqu’à la fin de la série. En revanche, on peut perdre jusqu’à 50 % après le premier épisode, c’est pour cette raison qu’on le soigne au maximum. On a défini 8 critères essentiels à respecter. Je peux vous dire que ce n’est pas fini, ça va encore beaucoup changer. À ce propos, on vient de faire entrer Serge Hayat, le plus grand financier du cinéma français, dans le capital de Rocambole, on ne l’a toujours pas annoncé en conférence de presse. Il nous aide à adapter les contraintes et les best practices de séries audiovisuelles. On tricote un maillage entre différents personnages, avec des enjeux qui augmentent, c’est passionnant. Moi, je ne viens pas du tout de cet univers et je me surprends aujourd’hui à parler de dramaturgie…

A. G. — C’est vrai que ça ressemble à une bible…

F. D.  D’aucuns me diront qu’on rationalise la création, mais je crois que n’importe quel cerveau humain le fait naturellement, même s’il y en a qui sont plus doués que d’autres. Certains vont naturellement restituer ce phénomène de page turner, parce qu’ils ont capté des signaux. Nous, on va simplement le mettre noir sur blanc, pour optimiser les chances de plaire aux lecteurs, sachant qu’il y aura toujours des chefs-d’œuvre qui viendront de nulle part. Cependant, il faut respecter des règles, comme dans toute entreprise et, même si la recette miracle n’existe pas, il est nécessaire de connaître quelques astuces pour ne pas échouer trop vite. On peut très bien cartonner avec une série sans aucun cliffhanger et avec 1000 personnages, mais ce sera sans doute plus compliqué qu’en faisant l’inverse. 

A. G. — Dans un pays où la littérature est sacrée, on pourrait vous reprocher de ne faire que de la littérature de loisir, ça ne vous rend pas mal à l’aise ?

F. D. — Ce n’est pas vrai, on fait de la très haute qualité. Il existe deux possibilités : soit vous écrivez la plus belle œuvre possible que personne ne va lire, soit vous écrivez aussi dans le but d’être lu. Même le Goncourt ne touche qu’une partie de la population, nous on veut atteindre tout le monde. On a des séries dont le style est plus ou moins facile, plus ou moins accessible. L’enjeu, c’est justement de diriger les lecteurs vers des styles qui leur correspondent. On a échangé avec un académicien qui souhaiterait produire sur Rocambole, ça prouve qu’eux aussi y viendront, comme ils l’ont fait dans l’audiovisuel. Rappelez-vous qu’au début, on a craché sur les séries, on entendait qu’elles étaient réalisées par les ratés du cinéma. Aujourd’hui, Scorcese en fait… 

A. G. — L’un ne va pas tuer l’autre ? Les deux sont conciliables ?

F. D. — Tout à fait, et le livre restera un objet désiré. Cela étant, il y a de la place pour un usage plus fragmenté, une expression éditoriale différente, qui arrive en complément de la chaîne éditoriale classique. 

A. G. — C’est un peu éphémère, puisque c’est soumis à un temps de lecture assez court, rythmé, ce n’est pas comme un livre qu’on va poser et qu’on peut reprendre plus tard. Cette fange de la littérature existera-t-elle toujours dans 10 ans ?

F. D. — C’est plutôt l’inverse. Aujourd’hui, 90 % de la littérature du XVIIIe siècle n’existe plus. Il y a de grandes chances que notre contenu soit encore accessible sur nos serveurs dans 1000 ans, au contraire d’un Harry Potter qui se sera perdu au fond d’une bibliothèque. 

A. G. — Vous avez raison, on ne trouve plus certains bouquins, y compris des classiques, parce qu’ils ne sont plus réimprimés…

F. D. — Le livre restera quoiqu’il arrive un objet de collection, avec de très belles éditions, parce que les gens sont attachés à la notion de propriété. Pour cette raison, on n’exclut pas, pour une série qui aura cartonné, d’en faire une jolie édition, pour qu’ils puissent la garder chez eux, la partager, etc. Mais je le répète, nos collections parviendront plus facilement jusqu’à nos enfants que des livres du circuit éditorial classique tirés à 300 exemplaires. Pour se faire éditer, c’est un parcours du combattant et, si on y parvient, c’est déjà une victoire ! Si vous êtes bon, votre premier roman sera tiré à 500 exemplaires, vous en vendrez 300 et vous gagnerez 1000 euros. 25 % de nos séries font déjà plus d’audience et, cerise sur le gâteau, nos auteurs s’éclatent. Il n’y a pas de limite, il faut simplement respecter un format et, peut-être, éviter de se faire bannir par Google. (Rires.

A. G. — Votre cœur de cible, me disiez-vous, c’est le créneau 25-45 ans chez les femmes. Essayez-vous de le développer encore ou cherchez-vous à élargir votre lectorat en visant par exemple les hommes de plus de 60 ans ?

F. D. — D’une manière générale, ça répond bien, mais c’est aussi une question de moyens et c’est difficile de toucher tout le monde. Dans un premier temps, on privilégie ce qui fonctionne le mieux et, quand on pourra le faire, on déploiera des ressources sur d’autres cibles. 

A. G. — Voulez-vous conclure ?

F. D. — À l’heure où je vous parle, Rocambole, c’est un épisode lu toutes les 20 secondes, j’aime beaucoup ce chiffre ! Quand j’étais au collège, on se disait parfois, entre nous : « Tu te rends compte, en 3 minutes, tant de milliers litres de coca ont été bus dans le monde ». Aujourd’hui, on a créé un usage et on peut nous aussi calculer le nombre de lectures sur un laps de temps donné… 

A. G. — La satisfaction, c’est aussi que vous faites lire davantage les gens…

F. D. — Oui, on y contribue effectivement puisqu’on a inventé un concept qui semble les stimuler.

A. G. — Et vous avez prouvé que la lecture était compatible avec le numérique.

F. D. — Oui, il fallait « craquer » un format pour son contenant et non pas essayer d’adapter un livre en numérique. 

A. G. — C’est une autre façon d’appréhender la lecture.

F. D. — Voilà, on évalue les contraintes et on voit ce qu’il est possible de mettre en œuvre.  

A. G. — C’est incroyable comme cette pandémie a modifié nos habitudes avec le numérique. Considérons que c’est une richesse, puisqu’on ne se serait probablement jamais rencontrés…

F. D. — Oui, dans toute mauvaise nouvelle, il y a quelque chose de bon à prendre… En ce qui nous concerne, il faut le reconnaître, la pandémie nous a clairement fait gagner du temps.


  • Intervieweur(s) : Amandine Glévarec
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